Lorsque Ingmar Bergman réalisait En Présence d’un clown pour la télévision, il ne prétendait donner à voir et à vivre les coulisses de la fiction que parce qu’il était un cinéaste accompli : son expérience lui conférait une légitimité, mieux une justesse de regard sur un milieu qu’il connaissait bien. Lorsque Nicolas Bedos réalise La Belle époque pour le cinéma, il se fourvoie. Nicolas Bedos n’est pas un cinéaste : cette affirmation relève aussi bien de la valeur de ses productions que de la maturité dont il ne dispose pas, après seulement deux longs métrages. Or, en ayant la prétention d’aborder le cinéma par ses coulisses, en passant derrière un art à peine effleuré, il saborde ses chances de dire quoi que ce soit de pertinent ou de profond sur le cinéma. Il est désolant d’assister, pendant près de deux heures, à l’installation d’un dispositif mécanique dans la conviction de toucher le cœur battant d’un art apte à explorer l’humain et à le révéler dans sa beauté paradoxale ; d’autant que le dispositif mis en place ne sert pas de tremplin à une démarche artistique, mais constitue sa finalité. L’ouverture du film est à l’image du reste : encombrée des artifices les plus vulgaires. Et si une scène, une seule scène s’avère réussie – le repas entre Victor et Marianne –, sa réussite atteste l’inutilité des artefacts déployés, tel un préservatif que l’on filmerait en pensant filmer le plaisir sexuel. C’est que le point de vue adopté n’est pas le bon, et qu’au lieu de suivre le cheminement intérieur de deux époux qui se sont perdus et qui tendent à se retrouver, Nicolas Bedos s’intéresse à son cheminement personnel, il subordonne la focalisation de ses personnages à celle, démiurgique, de lui metteur en scène et qui se regarde mettre en scène. Résultat, La Belle époque manque l’humain et se contente de régler des contentieux, d’exprimer des conceptions de l’amour et du couple qui sont plaquées sur le film ou qui le commentent depuis une instance supérieure. Et que dire, en outre, de la tonalité d’ensemble, sinon qu’elle joue la carte du grossier pour divulguer sa grande vulgarité ? Ce n’est pas un film grossier sur la grossièreté de notre époque, c’est un film vulgaire sur la vulgarité de Nicolas Bedos. Et malgré l’acharnement à composer des ambiances, à travailler les plans pour faire cinéma, il n’y pas de cinéma là-dedans, ou alors par reflets déformés et inaccessibles, des fenêtres ouvertes sur des œuvres exerçant une influence directe ou indirecte.