Comment ne pas penser à "The Witch" en découvrant "The Wind" ? Au-delà de leurs titres aux sonorités voisines, le premier film d'Emma Tammi a énormément de choses en commun avec celui de Robert Eggers : une ambiance similaire dont l'austérité tente de vous étouffer avec l'isolement de ses personnages, la mise en avant de la condition féminine peu abordée d'un cadre historique (ici, les femmes de pionniers laissées à leur solitude dans les plaines de l'Ouest du XIXème siècle), un sens de la cinématographie indéniable (Emma Tammi n'atteint peut-être pas les sommets du film d'Eggers mais "The Wind" peut se targuer d'une approche esthétique on ne peut plus prometteuse), l'intrusion du surnaturel dans le quotidien pour en exalter les maux latents, une interprétation irréprochable (à commencer par Caitlin Gerard dans le rôle principal) et même... une chèvre louche.
Oui, les deux films partagent décidément de nombreux points de convergence dont également le risque de se mettre une partie du public à dos par sa volonté de privilégier la lente construction d'une atmosphère anxiogène en symbiose avec son discours du fond (autant dire que ceux qui s'attendent à un rythme effréné et des jumpscares à gogo vont cordialement détester !).
Néanmoins, là où l'élément surnaturel permettait l'émancipation de l'héroïne de "The Witch" d'une autarcie imposée, la chose qui va venir tourmenter celle de "The Wind" va au contraire profiter de son isolement pour amplifier l'emprise des démons intérieurs qui la rongent.
Alors que les vastes paysages des plaines de l'Ouest sauvage américain devraient être un parfait symbole de liberté, il n'en est rien pour Lizzie, une femme condamnée inconsciemment comme tant d'autres de l'époque à se cantonner au simple rôle d'épouse/mère dans un décor sans aucune âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Prise au piège d'un quotidien se répétant à l'infini et où l'attente du retour de son mari parti galoper vers des lieux plus animés en devient souvent le phare principal, Elizabeth se met à subir les attaques d'une étrange présence qui semble attacher à ce territoire. Quelques temps après, elle et son mari remarquent qu'un autre couple s'est installé non loin de chez eux et décident de les inviter à dîner pour faire connaissance...
On reviendra sur le fond de "The Wind" dans la dernière partie SPOILERS de cette critique car il est assez difficile d'en dire plus sans en trahir la teneur à cause de la construction chronologique alambiquée du film. Pour l'instant, arrêtons-nous d'ailleurs seulement sur cette dernière qui sert tout autant qu'elle dessert le déroulement du long-métrage. Échos plutôt malins à la perte de repères grandissante de son héroïne, les différentes strates temporelles sur lesquelles se déroule le film va permettre à son récit d'étendre le fil de ses événements au regard d'autres pour toujours apporter une nouvelle pierre à l'édifice malgré son apparente lenteur. Cependant, le procédé va se révéler à double tranchant car, à force de vouloir expliciter trop vite les départs d'incendie à l'origine de sa progression dramatique, le film en dévoile de fait tous les contours et les allers-retours temporels qui devaient le servir se retournent ainsi contre lui en créant un manque flagrant de surprises sur les causes de l'évolution de l'héroïne. Alors, entendons-nous bien, ça n'empêche aucunement "The Wind" d'aller jusqu'au bout des intentions de son propos pertinent et d'en développer savamment tous les tenants et aboutissants possibles mais, pour peu que l'on soit familier de ce genre de récit et vu les maux facilement devinables qui peuvent habiter une femme de cette époque, "The Wind" ne parvient jamais à se défaire d'un côté prévisible qui nuit à l'élever à un statut qu'il aurait sans doute mérité au vu de toutes ses autres qualités.
En effet, sur tout le reste, ce détournement du décor du western par le biais de l'épouvante psychologique pour mettre en lumière la condition de ses personnages féminins d'habitude trop souvent laissées sur le bas-côté se révèle diablement convaincant. Tous les points de comparaison que l'on a soulignés plus haut avec "The Witch" fonctionnent du tonnerre et permettent à "The Wind" d'offrir de vraies montées de flippe judicieusement dosées dans une ambiance oppressante qui ne faiblit jamais en résonance de la captivité à ciel ouvert de l'héroïne. Prenant et souvent sublimé par sa mise en scène (beaucoup de plans forcent l'admiration, celui où Lizzie est "suivie" par sa voisine est un bijou parmi d'autres), "The Wind" avait donc de nombreuses atouts dans sa manche pour rejoindre les hits d'un cinéma d'épouvante plus exigeant en pleine renaissance depuis quelques années, dommage que sa chronologie scénaristique pas aussi maligne que pensée l'empêche d'entrer dans l'élite de sa catégorie...
Alors, y avait-il oui ou non un démon dans ces prairies pour tourmenter les femmes qui y vivent ?
Au premier regard, le film paraît répondre par la négative. "Le mal des prairies" induit par l'isolement des pionniers dans ces étendues inhabitées est un cas pathologique reconnu et, comme toute solitude poussée à l'extrême, conduit celui qui en est atteint à la dépression et à des troubles délirants voire violents. Ici, le statut occupée par Lizzie en fait une candidate parfaite. D'abord par sa seule situation de femme de pionnier souvent esseulée et donc menant une existence si répétitive et sans surprise qu'elle peut engendrer un désordre mental, surtout lorsqu'un vieux révérend vous confie un prospectus avec un listing de démons juste avant que vous ne vous installiez dans un endroit entouré de tombes... Plus tard, le fait que Lizzie échoue à donner la vie la met devant constat un échec indissociable de son statut : devenir mère. Il ne lui reste alors plus que celui d'épouse mais quand un couple emménage non loin de là et que, quelques temps après, il devient clair que son mari Isaac a fauté avec la voisine en la mettant enceinte (obsédée également par le prospectus du révérend, celle-ci manifeste le même mal que Lizzie et, en plus, ne s'entend pas avec son mari que le film rend quasiment invisible), Lizzie échoue également à être une épouse de son point de vue. Par conséquent, le double rôle qu'elle devait assurer n'a plus lieu d'être et la confronte à son vide existentiel s'achèvant sur un précipice définitif dans la folie. Toutes les visions démoniaques -qui ne vont cesser de s'amplifier- ne seraient alors que le fruit de son imagination (par exemple, le révérend est bien venu chez elle mais il en est reparti bien vivant comme le lui dira son mari qui l'a croisé sur sa route) et le meurtre final de son époux qu'elle voit comme une incarnation maléfique sera sa sentence inconsciente pour celui qu'elle juge coupable de lui avoir volé le sens de son existence. Même la maison qui représentait l'idée de son futur familial n'est plus qu'une image évanescente dans la tête de Lizzie à la fin, elle est désormais éternellement prisonnière des prairies qui l'auront entièrement consumé dans sa solitude...
MAIS est-ce que cela écarte pour autant la présence d'un démon ? Absolument pas ! Regardez bien, le contenu du fameux prospectus que lit Lizzie dans la dernière partie du film et que sa voisine récitait de tête plus tôt, la liste de ces "démons de la prairie" et de leurs caractéristiques rappellent furieusement ce que Lizzie a enduré jusque-là ("démon de la jalousie", "corrupteur de la couche nuptiale", "corrupteur des esprits faibles", etc) et le dernier nom de la liste parle de Vetis, un démon polymorphe, qui correspondrait parfaitement aux manifestations à multiples visages dont elle est témoin.
En réalité, la réponse est entre les deux hypothèses. Oui, Lizzie et sa voisine ont bien été victimes de ce "mal de prairie" accentué par leurs conditions respectives mais il semble bien qu'une entité, probablement Vetis, y ait vu là l'occasion de les pousser dans leurs derniers retranchements en les manipulant pour accélérer le processus.
Enfin, d'un point de vue personnel, j'ai une petite théorie : je pense qu'Isaac n'a pas même pas trompé Lizzie (il ne l'avoue d'ailleurs jamais directement, quand il lit le journal à la fin, il dit seulement "Elle était enceinte !!" dans sa douleur de découvrir les agissements de sa femme), la voisine est persuadée d'être enceinte d'Isaac mais elle peut très bien avoir été "visitée" par le démon ayant pris l'apparence de ce dernier et son bébé qu'elle croit être de lui est peut-être tout simplement celui de son mari. Ça tendrait à démontrer une main mise totale du démon sur les rapports des deux couples pour les détruire mais ce n'est évidemment qu'une hypothèse de ma part...