Olivier Gourmet a t-il fait dans sa vie autres chose que des films sociaux, politiques et militants? J'espère que dans sa vie privée, il est moins austère qu'à l'écran, car dans ce cas, je plaindrais sa famille!
Et ce n'est pas avec Ceux qui travaillent que cela va changer. Ce magnifique film du jeune (???) suisse (???) Antoine Russbach (dont apparemment personne ne sait rien...) est d'une noirceur si totale qu'on en sort mal à l'aise.
Frank est parti de rien. Dernier d'une famille de paysans pauvres, rudoyé par tous, n'ayant fait aucune étude, il commence cariste dans une entreprise de transports maritimes (ah! la marine suisse...) pour en devenir directeur. (Il roule en Carrera quand même... sacré réussite!) Marié à Nadine (Delphine Bibet), fidèle (comme si on avait du temps à perdre avec la bagatelle...), père tendre et attentionné de cinq enfants dont la petite dernière, Mathilde (Adèle Bochatay) l'idolâtre, il n'a qu'un credo: le travail. Il est, le matin, devant son écran alors que les techniciens de surface sont encore en activité.... Travailler, être efficace, faire gagner de l'argent à cette compagnie dont il espère être bientôt l'associé. Mais la compagnie va plutôt mal. des containers sont détériorés.... Et puis, un appel du Cervantes Ils viennent de découvrir un clandestin à bord, un pauvre zig qui a embarqué à Lagos et ne sait même pas pour quelle direction. Et de plus: malade, avec une forte fièvre. Fièvre + Lagos =.... Ebola! Que faire? le garder jusqu'à Marseille, avec la certitude d'une quarantaine et une perte de fric inestimable? Alors plutôt, le ré-embarquer pour Lagos, le débarquer, ni vu ni connu. Le Cervantes fait demi tour. Mais Frank réfléchit. Cette solution, cela représente quand même quatre jours de retard. Nouvel ordre: on reprend la route vers Marseille, et on se débarrasse du clandestin. Le patron russe du porte-containers se récrie; une bonne prime le fera changer d'avis. Mais ces détours ont attiré l'attention des patrons de la compagnie. Frank est sommé de démissionner sur l'heure. A cause de l'ignominie de sa décision? Pas du tout! Pour ne pas les en avoir tenus informés, et parce que l'occasion est bonne de se débarrasser d'un salarié qui coûtait trop cher et prenait trop de surface.
Frank a rejoint le monde de ceux qui ne travaillent pas... Il affiche sans états d'âme son profil insensible dans une boîte de placements; il passe par des phases de dépression; (un de ses fils à cette phrase terrible: on a accepté de ne pas avoir de père; on n'acceptera pas de renoncer à notre train de vie); il contacte tous ses anciens "amis", mais tout se sait dans le milieu; personne ne veut de lui, sauf à accepter un job où il saura constamment flirter avec la légalité.... dans ce monde là, un homme dépourvu de toute morale, de tout scrupule ça n'a pas de prix
La fin du film est somptueuse: Frank emmène Mathilde dans un hyper marché, puis dans les docks, là où sont échangées ces milliards de marchandises dont notre civilisation veut disposer tout le temps, tout de suite. Alors, il n'y a qu'une seule règle: tout doit arriver à l'heure! Que compte la vie ou la survie d'un pauvre noir souffreteux devant les exigences de la mondialisation....
C'est un chef d'oeuvre, mais asphyxiant. Sans doute est ce pour cela qu'il est si mal distribué, si peu et si superficiellement critiqué. Mais c'est à voir absolument tant que c'est à l'affiche.