Sur le papier, Ceux qui travaillent avait de quoi rebuter. Un film sur les affres du grand méchant capitalisme? Un long-métrage gonflé par un pathos artificiel et déformé par des caricatures outrées? Une énième tentative de dénoncer les rouages pervers d’un monde gouverné par l’argent et le profit individuel?
Il n’en est rien. Antoine Russbach signe ici un film sobre, juste et intelligent, qui brille autant par sa finesse que par la magistrale interprétation d’Olivier Gourmet.
Ce qui fait la force du film, c’est la manière dont, avec brio, le jeune réalisateur réussit à ne jamais franchir la frontière qui le sépare de la caricature et de l’attendu.
Il montre un homme broyé par un système auquel il a tout donné sans jamais sombrer dans le manichéisme. Car si ce premier long-métrage nous expose les absurdités du capitalisme, il nous rappelle aussi que c’est ce même système qui nourrit nos enfants.
Il donne à voir la révolte désespérée d’un homme humilié, mais sans emphase ni pathos, et avec une rare finesse.
Et c’est dans les scènes les plus banales (une douche matinale, un repas de famille, la routine d’un matin de semaine) qu’effleurent les reliefs de l’âme de ce personnage mutique et bourru, magnifiquement incarné par Olivier Gourmet. Un personnage que l’on ne cernera jamais totalement, un colosse brisé de l’intérieur, un « monstre » dont on épouse pourtant la douleur. Et c’est avec une réelle force que nous étreignent les sentiments de cet anti-héros des temps modernes qu’est le travailleur licencié, le désormais laissé pour compte, le pion sur un damier où compétition et faux-semblants sont monnaie courante et règles d’un jeu cynique et cruel mais pourtant docilement accepté par tous.
Là est un élément essentiel du film : rien n’est exposé, tout est suggéré. Les couleurs sont froides, les dialogues brefs et les plans rapprochés, la caméra s’attache au banal et au quotidien, mais ces scènes où presque rien ne se dit ont une teneur impressionnante.
Alors oui, Ceux qui travaillent et un film « social ». Mais un film social qui ne sonne ni comme une parabole creuse et vide de sens, ni comme une leçon de morale agaçante, et encore moins comme un exercice de style artificiel dans lequel l’humain transpire à peine. Russbach nous parle du système, mais il reste à échelle humaine. Il nous donne du grain à moudre, mais n’impose jamais la réflexion et fuit toute morale.
Pour livrer un film juste et intense, porté par l’intelligence de sa mise en scène et la performance de ses acteurs, un long-métrage qui marque par sa sobriété, qui frappe autant qu’il interroge. On attend avec impatience les autres films de la trilogie prévue par Antoine Russbach, fondée sur le modèle de la société médiévale : Ceux qui combattent et Ceux qui prient.