C’est le premier film de l’actrice Rebecca Hall qui s’attaque, mais avec quel brio, à un concept particulièrement délicat, le “Passing”, volonté et capacité à intégrer une communauté ethnique, religieuse ou sociale perçue comme plus prestigieuse. En l’occurrence dans la nouvelle de Nella Larsen, ce passing est celui de deux femmes afro-américaines, dont la complexion pâle et les traits leur permettent de passer pour des blanches mais qui ont suivi une trajectoire très différente, lrene ayant épousé un médecin noir et jouant un rôle militant au sein de sa communauté, Clare ayant épousé un banquier blanc raciste qui ne se doute absolument de rien. Avec une finesse qu’on ne soupçonnait venant d’un premier film, ‘Clair-obscur’ explore des dimensions passionnantes de la question raciale aux Etats-unis, certes relocalisées dans les années 20 mais dans une certaine mesure toujours indirectement valables. Irene accepte sans broncher les petites vexations et la condescendance paternaliste de ses fréquentations blanches, espérant y obtenir pour ses propres enfants le sentiment de sécurité qu’on éprouve à faire partie la communauté dominante, ce que son mari, à la peau plus foncée, accepte difficilement, lui qui préférerait les préparer à affronter un monde brutal et injuste. Clare est nostalgique de ses origines tenues secrètes et profite de son amitié avec Irene pour venir s’encanailler à Harlem, quasiment en “touriste blanche”, sans avoir à affronter les contingences négatives de son ancienne appartenance. Rajoutez-y un triangle amoureux, à mesure que la relation d’Irene et de son mari se distend, et l’amitié très ambivalente entre Irene et Clare, chacune des deux femmes comprenant, désapprouvant et enviant simultanément les choix de l’autre. Avec ses dialogues très travaillés, ‘Clair-obscur’ souffre parfois d’une facture qui fait un peu “théâtre filmé”, avec ses intérieurs luxueux et ses échanges un peu trop statiques, mais le choix de tourner en noir-et-blanc apporte plusieurs avantages : coller à l’époque évidemment, mettre en exergue une Clare lumineuse pleine de l’optimisme que son nouveau statut lui apporte et une Irene qui s’enfonce dans l’obscurité à mesure que ses repères se brouillent. Cette approche visuelle spécifique se double du fait d’avoir choisi deux actrices clairement identifiées comme “noires” aux Etats-unis afin de renforcer la sensation que le “masque” des deux personnages risque à tout moment de tomber, et de rendre paradoxalement très difficile d’estimer la carnation précise de ces personnages, alors que tout se joue justement sur d’infimes nuances telles qu’elles étaient perçues voici un siècle.