Dès la première séquence, le ton est donné. Zahia Dehar - la "fille facile" - promène telle une ondine son corps quasi nu dans les flots d'un bleu intense d'une anse de la Côte d'Azur. Elle le fait avec une aisance confondante, offrant au spectateur-voyeur une anatomie toute en courbes et en souplesse. Le dernier film de Rebecca Zlotowski sera ainsi placé sous le signe d'une extrême sensualité qui interdit toute référence à la morale traditionnelle. Deux cousines vivent dans une étroite complicité, la plus jeune (Mina Faid), qui vient de fêter ses seize ans, vivant dans la fascination de son aînée qui ne se refuse rien pour mener "la grande vie". Alors, lorsqu'accoste dans la baie de Cannes un splendide yacht avec à son bord deux hommes richissimes qui ne demandent qu'à profiter d'une compagnie féminine, le désir va s'exacerber et Sofia, la "fille facile", va s'en donner à cœur - et surtout à corps - joie, tandis que Naïma, sa cousine, va délaisser son petit ami pour vivre, elle aussi, la grande vie, mais dans le seul fantasme érotique, fascinée qu'elle est par un des deux mâles, interprété par Benoît Magimel. Il ne se passe pas grand-chose dans ce film et pourtant que de non-dits et surtout quelle intelligence cinématographique ! Les références pleuvent, à commencer par celle au film d'Eric Rohmer, "La collectionneuse", dont se réclame la réalisatrice. A la différence près que le film de Rohmer s'inscrivait dans la série des "Contes moraux", alors que le film de Rebecca Zlotowski se présente ouvertement comme un "conte amoral". Deux autres références se lisent sans la moindre difficulté, correspondant toutes deux à des films solaires, des films méditerranéens, à la sensualité exubérante : "Et Dieu créa la femme", le film-culte de Roger Vadim, et plus encore "Le mépris" de Jean-Luc Godard. Parfois les références sont si appuyées et même littérales qu'elles en deviennent un peu lourdes. Un point commun unissait ces deux films : la présence fracassante d'une Brigitte Bardot au paroxysme de sa beauté et de sa sensualité. Or, Zahia Dehar reproduit de manière fort étonnante - et, semble-t-il, sans se forcer - le phrasé atone et profondément incitatif de la BB des plus belles années. En outre, elle se donne à voir dans sa nudité - ou, plus encore, dans sa semi-nudité - avec la même liberté, la même insolence, la même désinvolture. Quant à l'image, elle ne cesse de renvoyer à celles de ces films solaires où tout est fait pour satisfaire l’œil du spectateur : des cadrages impeccables et savants, une lumière ruisselant sur les corps en désir, des couleurs qui reproduisent à la perfection la dimension solaire de la Côte d'Azur en plein été et ses connotations torrides. On pourra certes épiloguer sur la dimension politique du film : deux femmes issues d'une classe populaire et qui profitent sans vergogne des plaisirs et des richesses que peut lui procurer la classe dominante. Mais il semble que là ne soit pas vraiment l'essentiel ou du moins si c'est là que réside l'essentiel, il demeure tapi en arrière-plan. Une chose est certaine : ce film est vénéneux, mais il est bon parfois de goûter à la saveur des poisons...