On cite aussi souvent Le rôdeur (The Prawler 1951) comme un des grands classiques du film noir américain que Double Indemnity par exemple (Assurance sur la mort, Wilder 1946).
Le rôdeur, tourné par Losey sur un scénario du génial Dalton Trumbo (non crédité au générique car sous le coup des lois maccarthystes), peut-être moins direct que le film de Wilder, montre une beaucoup plus grande complexité.
Webb, le personnage principal, interprété par l'inquiétant et trouble Van Heflin, un policier véreux utilise la séduction à des fins pécuniaires - on sait dès les premières minutes.l
Un peu par insistance, un peu en faisant appel à leurs origines communes de l'Indiana (ils sont "une paires de Hoossiers"), un grâce à sa prestance dans l'uniforme, et surtout en répondant à l'impatience de la jeune femme, Webb séduit en effet une épouse déçue par son mari qui travaille de nuit à la radio.
Evelyn Keyes, la compagne de John Huston, sous estimée comme actrice, donne à cette épouse (Susan) une profondeur magistrale. Eele expose sans fards son désir sexuel et surtout son désir d'enfant.
La très belle et très émouvante Evelyn Keyes, qui aurait du avoir une carrière beaucoup plus importante à Hollywood, tient là son plus grand rôle.
Voilà donc que se rencontrent, la nuit, dans une maison bourgeoise de Los Angeles aux allures d'hacienda, deux personnages assez peu dans la ligne de la sévère censure de l'époque qui combattait les thèmes" anti-américains ".
Trumbo et Losey, tous deux membres du parti communiste américain depuis le milieu des années 40, se débrouillent à coup d’allusion pour passer à travers les mailles d'Anastasie.
Les plans allusifs qui s’enchaînent passent la censure mais sont justement d'une efficacité beaucoup plus grande que s'ils les auteurs les avaient explicités.
Losey filme avec une grande efficacité, suit les ellipses de Trumbo à la lettre, accélère et ralentit quand il faut. Tient le spectateur en haleine.
Le film noir s’oppose au mélo. Le sentiment a peu de place. Le désir sexuel et le désir d’argent, puissants, tiennent les anti-héros. Les personnages courent au désastre, c’est, certain, connue, jamais caché.
La question n'est pas quoi ? (inéluctablement ça va -très- mal finir). La question est comment ?
En ce sens, Losey, qui sait parfaitement faire monter les tensions cachées entre les personnages, met toujours en scène des films noirs.
Le rôdeur, son premier chef-d'œuvre, ouvre la voie aux trois grands drames sociaux, encore plus tendus, qu'il va ensuite tourner en Angleterre avec Harold Pinter : The Servant (Dirk Bogarde, Sarah Miles) 1963, Accident (Dirk Bogarde, Jacqueline Sassard) 1967, The go-between (Julie Christie, Alan Bates) 1971.
Un livre, très bien illustré et très intéressant, signé Eddie Muller accompagne le dvd Wildside du Rôdeur Muller affirme cependant son peu de goût pour la carrière anglaise de Losey qui commence dès 53. Muller a tort évidemment car Losey, aux Usa, en Angleterre ou ailleurs, fut un immense cinéaste sur qui Michel Ciment a écrit un livre biographique exceptionnel (Le Livre de Losey, Ramsay, 486 pages).