Dernière série de portraits, on table sur des gens plus connus et ça reste intéressant, parce que derrière les figures que l'on peut voir à la télévision, au théâtre, Cavalier montre surtout l'homme. Ainsi Philippe Labro a un portrait qui n'est pas forcément des plus flatteurs (il n'est pas à charge non plus, loin de là), mais on le voit au quotidien, dans son travail, à faire des réflexions, à être déçu de son entretien avec Francis Huster qui ne l'a pas laissé en placer une... à râler parce que la circulation est bloquée. Mais c'est la première fois que la personne n'est pas profondément sympathique, même Léon, le cordonnier bougon qui engueulait ses clients avait une touche d'humanité qui le rendait éminemment sympathique, là non, il a l'air plus froid...
Et finalement c'est cette variété, malgré une approche similaire, qui fait la qualité de ces portraits. D'ailleurs, plus que les hommes (et la femme) qu'ils dépeignent, ce que je trouve fabuleux, c'est le temps qui passe. Si on excepte le premier film, les autres portraits se déroulent tous sur un temps un peu long, parfois une dizaine d'année... et si avec Bernard on sent l'évolution se faire petit à petit, on le voit perdre ses cheveux, on voit sa fille grandir, idem pour Jacquotte que l'on voyait vieillir lentement mais surement, pour Philippe c'est radical, il prend dix années en plein tronche le temps d'un carton...
Et là on voit que le temps c'est terrible... et finalement c'est ça qui fait leur humanité : leur mortalité, le fait que inexorablement le temps avance.
Je n'ai pas de mots pour dire tout le bien que je pense de cette démarche de venir filmer des gens sur un temps long, de s'intéresser à eux, de montrer leur évolution...
C'est ce qui rend ces six portraits si émouvants... c'est l'humanité qui s'en dégage. Sans forcer Cavalier arrive à montrer la personnalité de tous ces gens, forcément on s'attache à eux parce qu'ils sont intéressants... ils sont rendus intéressants par le regard de la caméra de Cavalier et on finit par comprendre que les gens son intéressants au départ... Cavalier ne fait que montrer à quel point les gens sont intéressants, dans leurs manies, leurs manières de faire, leurs réflexions...
Je me demande combien de portraits il a encore sous le coude. Parce que j'en reprendrais bien.
Et puis qu'on parle de filmer des gens sur le temps long, je trouve la démarche documentaire bien plus intéressante que l’esbroufe d'un Boyhood, là les gens ne font pas semblant d'être authentiques... Cavalier n'a pas besoin de sursignifier qui ils sont, la caméra suffit... c'est ça l'avantage de filmer de vraies personnes et pas des coquilles vides mal écrites par un réalisateur sans grand talent.
Quant à Bernard, pour dire un mot sur lui quand même et sur son portrait, ce qui est touchant c'est de le voir avant qu'il monte en scène pour faire sa pièce... on le voit avant la Première, sans savoir qu'elle va marcher du feu de dieu... et on le quitte avant une entrée en scène où il dit qu'il pourra la jouer jusqu'à qu'il ait 80 ans...
C'est sincèrement beau de voir quelqu'un réussir à accomplir son rêve... quelqu'un qui fait partie des rares qui ont réussi à vivre de leur passion... qui étaient un peu au fond du trou financièrement et qui réussissent à s'en sortir... Beau parce que Bernard est assez exubérant, sa famille, notamment sa fille également. On a pas quelqu'un qui fait semblant, même s'il est un acteur, du moins pour Cavalier là, il ne fait pas semblant, il se prépare, se rase, il a le tract, il est stressé car il est en retard, ou au contraire il est détendu car tout se goupille bien...
C'est ces petites choses que filme Cavalier, ces choses qui manquent au cinéma, s'attarder sur ce qui rend les personnages humains.