Alors c’est sûr – et je n’entends pas discuter ce point là – ils ont vraiment l’air tous les deux pétris de bonnes intentions ces deux compères que sont Grand corps malade et Medhi Idir. Ça se ressentait déjà dans leur précédent « Patients » : malgré sa forme assez rudimentaire, ce premier film transpirait d’une belle humilité. Il y avait là-dedans l’envie de transmettre des vécus. Des ressentis. Des réalités… Pas de héros. Pas de jugement. Il y avait juste des fardeaux à porter, des mal-êtres difficiles à exprimer et surtout pas mal d’incompréhension. Au fond personne n’était à blâmer, il y avait juste des situations à comprendre. Un regard à exercer. Et pour moi, à partir du moment où des auteurs ont pour démarche centrale celle d’offrir un regard, alors forcément, je ne peux m’empêcher de les respecter, de les apprécier, et surtout de considérer ce qu’ils ont à m’offrir. Et pourtant… Et pourtant ça m’attriste de le dire mais, me concernant, « La vie scolaire » est ce film qui montre toutes les limites du duo en tant que cinéastes. D’accord il y a toujours la sincérité de la démarche et toutes les qualités que j’ai citées ci-dessus. « La vie scolaire » est un film qui veut montrer chacun avec bienveillance et tendresse. Chaque débordement s’explique toujours par des réalités qui se percutent mais qui ne se comprennent pas. Tout le monde est plus ou moins prisonnier d’une situation qu’il subit mais qu’il apprend à accepter ; avec résignation certes, mais aussi avec une certaine forme de sagesse. Seulement ce film a beau être pétri de bonnes intentions, il n’en reste pas moins que, selon moi, la force du cinéma réside avant tout dans sa capacité à dire sans les mots ; à jouer de la suggestion de l’image, du montage et du son – bref à faire ressentir les choses plutôt que de nous les montrer – or, sur ce point, cette « Vie scolaire » enchaîne vraiment les maladresses au point que je ne suis jamais vraiment parvenu à me plonger dans son intrigue.
« Maladresses » est d’ailleurs pour moi le maître-mot qui caractérise la réalisation de ce long-métrage. Maladresse de l’écriture d’abord. Tout est expliqué. Surligné. Si bien que chaque personnage sera forcément amené à disserter sur son ressenti du moment, sur la réalité de la situation, et parfois même plusieurs fois durant l’intrigue. Certes, on noie tout ça de « wesh », de « frère » et de « gros » pour que ça fasse plus naturel. Plus vrai. Mais cela n’empêche pas pour autant cette lourdeur didactique de transformer chaque scène en un moment purement artificiel. Les intentions apparaissent toujours à l’écran comme de grosses ficelles qu’on ne parvient pas à cacher. Et même si le casting est plutôt convaincant dans l’ensemble (bien que d’apparence trop âgée en ce qui concerne les rôles de collégien), ce n’est malgré tout pas suffisant pour nous sortir de cette impression de théâtre de marionnettes factices à qui on fait dire ce qu’on a envie de leur faire dire. L’autre souci, c’est la mise-en-scène. Beaucoup d’effets et de tentatives certes, mais un manque réel de maîtrise dans leur utilisation. On sent que le duo Grand Corps / Idir a sollicité pas mal d’œuvres de référence, allant de « Boys N The Hood » à « La Haine » en passant par « Polisse et « Mr. Robot ». Mais tout ce qu’ils en prélèvent est en permanence utilisé à contre-emploi. Exemple criant par exemple avec ces champs-contrechamps où le sujet est systématiquement placé du mauvais côté du cadre. Dans « Mr. Robot » ce choix formel se révélait pertinent car cela nous permettait de percevoir ce monde à travers les yeux de son héros : fragmenté, dépourvu de sens et de sensation, déconnecté d’une certaine forme de réel. Faire ressentir l’artifice dans cette série allait clairement dans le sens de ses intentions. Par contre, dans « La Vie scolaire », ce procédé formel est utilisé pendant des moments d’échanges sincères ; au moment où – enfin – une connexion est en train de s’opérer entre les protagonistes. Et alors que les acteurs s’acharnent à rendre ces moments intenses – à traduire toute leur sensibilité de l’instant au travers de leur faciès et leurs intonations – la réalisation nous détourne de cela en utilisant un procédé formel qui brutalise notre perception et fait ressortir tout le caractère artificiel de la situation. Pour le coup, ça n’a tout simplement aucun sens. Et s’il n’y avait que ça. Si ce n’était qu’un détail. Mais ce genre d’utilisation hors-de-propos est assez récurrent dans cette « Vie scolaire ». C’est le cas notamment des ralentis qui sont sollicités de manière très hasardeuse, en rupture la plupart du temps avec le rythme induit par le montage de la scène où ils s’inscrivent. C’est aussi le cas avec cette mise en parallèle entre les deux fêtes : celles des élèves et celles de profs. Le parallélisme ne dit pas grand-chose à part peut-être un besoin commun d’évasion face à la rudesse du quotidien. Pire encore, la scène insiste sur une mise en miroir des personnages de Samia et de Yanis ; mise en miroir dont finalement le film ne fait rien. A aucun moment cette confusion fugace de l’espace ne cherche à établir de connexion ou ne questionne la nature du moment. C’est un effet de mise en scène purement gratuit et vide de sens. Un cache-misère. Le problème, c’est qu’à bien tout prendre, ce méli-mélo d’intentions – toutes bonnes au demeurant – aboutit en définitive à une œuvre bancale qui ne cesse d’envoyer des signaux contradictoires. On opte d’un côté pour une photographie et une mouvance du cadre proches au genre réaliste à la française, mais d’un autre côté on la contredit par une écriture très artificialisée et des effets de style superficiels. De même, la dimension testimoniale que cette œuvre essaye de mettre en avant se heurte clairement au désir qu’on ses auteurs d’être dans une démarche de discours à outrances. A trop vouloir en dire et en faire, finalement ce film dégage peu de choses. Beaucoup d’évidences. Beaucoup de ressorts d’intrigues éculés et téléphonés (
La mort à venir du pote de Yanis est aussi visible que l’est une piste de Rissy en approche de nuit
). Et parfois même, ce film se perd dans des moments particulièrement illisibles. (
Pourquoi Yanis finit en SEGPA à la fin ? Est-ce qu’on essaye de nous faire comprendre que c’est une forme de punition ? Est-ce qu’on essaye de nous faire comprendre qu’il y a des gamins en SEGPA qui n’ont rien à y foutre mais qu’on stocke là pour fuir la réalité de leurs problèmes ? Woh ! Eh les gars ! La SEGPA ça marche pas du tout comme ça ! Si vous voulez tacler le système scolaire, au moins taclez-le en connaissance de cause !
) Alors après, c’est vrai que malgré tous ses défauts, je n’ai aucune antipathie pour ce film. Pour moi il ne marche pas. Il pue le fake du début jusqu’à la fin. Et, pire que tout, il n’arrive même pas à me séduire en tant qu’objet artistique. Mais bon, à croire que je ne sais pas résister aux démarches bienveillantes et manifestement sincères. A croire qu’il suffit parfois qu’on me foute deux minutes de Shuriken pour obtenir ma sympathie… Au fond « La vie scolaire » n’est pas un film non-film ou un film mauvais. Il est juste un film terriblement maladroit. Et le pire c’est que, à l’image de ses personnages, c’est aussi cela qui peut, à certains égards, le rendre touchant… Mais bon… Ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)