Evoquer des problèmes lourds avec un ton léger, Grand Corps Malade et Mehdi Idir avaient déjà réussi ce challenge sur le handicap avec leur premier film, « Patients ». Ils remettent ça aujourd’hui avec un autre sujet, tout aussi difficile, l’échec scolaire. Cette fois-ci, et c’est assez rare pour être souligné, le sujet n’est pas vu au travers de professeurs ou d’élèves mais essentiellement au travers d’une jeune CPE. Ce métier essentiel et mal connu, chargé de réguler et d’animer « La Vie Scolaire », bien au-delà des questions de disciplines. On est loin de l’ancien « Surveillant Général » (tellement ancien que je ne l’ai pas connu). Mehdi Idir et Grand Corps Malade réussissent un joli film dans la forme, bien filmé et soigné du générique de début (malin) au générique de fin (avec un clin d’œil à « Esprits Rebelles »). Des plans bien travaillés, des plans séquences parfaitement maîtrisés, un film qui a un vrai rythme, qui ne connait pas de baisse de régime. Il y a aussi un chouette moment, un parallèle entre une fête d’élèves et une fête de profs, qui se déroulent en même temps et il se passe plus ou moins le même genre de choses, bêtises comprises. Les coréalisateurs s’amusent aussi avec le hors champs, comme dans la scène de rentrée scolaire ou le principal cherche vainement à obtenir le silence…
en salle des profs, ce qu’on ne comprend pas d’emblée !
Et puis, il y a la bande son, forcément très pensée, avec des musiques bien choisies qui tombent bien, sans écraser l’image, sans prendre tout l’espace, sans écraser le propos. Non, vraiment, dans la forme pas grand-chose à redire, sauf peut-être quelques toutes petites longueurs sur la fin, mais ce n’est pas grand-chose. Le casting est pléthorique et avant de parler des deux premiers rôles, j’insiste sur le fait que les seconds rôles sont nombreux, biens écrits et parfaitement tenus, que ce soit par Alban Ivanov (dans une rôle au moins aussi décalé et casse-bonbon que celui tenu dans « Patients »), Soufiane Guerrab en prof de math (option philo) et visiblement sous le charme de la CEP, Antoine Reinartz en prof dépassé ou Redouanne Bougheraba en prof de sport (très inspiré par le prof de sport de « P.R.O.F.S. » incarné à l’époque par Laurent Gamelon). C’est pareil du côté des élèves avec par exemple le mytho Hocine Mokando. Ce sont des rôles écrits, avec une vraie profondeur, et ils ne sont jamais caricaturaux, ou pas trop… Dans le rôle de Samia, Zita Hanrot trouve là un vrai beau rôle de femme forte, amoureuse et humaine, déterminée, pleine de doutes et de faille, un vrai beau rôle pour cette actrice qui confirme de film en film tout son potentiel. Et puis il y a Liam Pierron, dans le rôle de Yanis. Ce jeune comédien, (qui ressemble étrangement à Kylian MBappé !) aurait pu en faire des tonnes, singer ce rôle de petit mec de banlieue qui dérape doucement, chambreur, plein de bagout mais très mal dans sa peau, dans sa vie. Il se cherche sans jamais se trouver et ce désarroi à fleur de peau, Liam le fait très bien passer à l’image. Je peux prendre le pari que ce jeune acteur se retrouvera sur une liste de pré sélection ou de sélection aux Césars 2020, « Meilleur Espoir Masculin », on verra. Il forme avec Zita Hanrot un sorte de personnage double, l’un étant un peu le négatif de l’autre alors qu’ils sont bien plus de points commun qu’on ne l’imagine. Leurs routes sont des routes parallèles qui se croisent à intervalles réguliers. Le scénario joue beaucoup sur cette mise en parallèle de deux enfants de l’immigration, chacun d’un côté du bureau. « Entre les Murs » ou « Esprits Rebelles », entres autres, ont déjà exploré la question de la vie dans un collège ou un lycée, de l’échec ou de la rédemption scolaire. « La Vie Scolaire » s’inscrit dans une démarche plus légère, plus optimiste aussi. Le film trace son sillon, sans catastrophisme, en évitant les poncifs mais sans éluder non plus certains problèmes lourds de gamins sur le point d’être perdus par le système, de profs en souffrance, d’élèves qui ne mangent pas toujours à leurs faim, de parents démissionnaires ou tout simplement de bonne volonté mais dépassés. Evidemment, ce n’est pas le premier film à jeter la lumière sur un collège de banlieue et comme tous les autres avant lui, il va essuyer les remarques des pisse-froids, adeptes d’un système scolaire phantasmé plein de blouses grises et de porte plumes mais ce sera injuste. Le film sera qualifié de naïf alors qu’il ne l’est pas tant que cela, la fin étant d’ailleurs pas du tout un happy end, juste une fin nuancée et raisonnable. Bien-sur c’est truffé de bons sentiments mais les bons sentiments ne font pas de mal s’ils sont dosés intelligemment. « La Vie Scolaire » ne fait ni dans le naïf, ni dans le pathos. Dans ce collège, on rit, on se bat, on réussie, on échoue, on souffre, c’est un petit microcosme fermé à l’image de toute la société et de toute la vie. Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue, c’est une sorte de fresque calée sur une année scolaire, le parcourt parallèle de deux débutants, l’une dans son métier en banlieue l’autre dans la Vie avec un grand V. « La Vie Scolaire » enfonce le clou de « ¨Patients », il installe Medhi Idir et Grand Corps Malade dans la paysage du cinéma hexagonal avec leur ton propre, leur vision amusée mais réaliste des choses, et c’est une vraie bonne nouvelle pour le cinéma français.