Au départ, c’est le producteur Edouard de Vésinne qui a proposé à François Armanet de faire un film sur le rock français, après avoir vu le documentaire sur les choristes noires américaines, Twenty feet from stardom. Le metteur en scène se rappelle : "J’ai immédiatement pensé à mon vieil ami Bayon. Quand je suis arrivé à Libération en 81, il y avait deux figures : Serge Daney pour le cinéma et Bayon pour la musique. Bayon a imposé le traitement du rock dans un quotidien, ce qui n’existait pas avant en France. Nous avons une vieille complicité et comme le dit la formule, c’est un ami de plus de trente ans. Nous nous sommes d’abord demandés par quel bout prendre cette histoire du rock français. On a nos mousquetaires, Bashung, Manset, Christophe, Murat, on a tourné autour de ces noms avant d’avoir l’idée de nous intéresser aux femmes. C’était plus original, et par ailleurs, la scène féminine, aujourd’hui, est bien plus intéressante que celle des garçons."
L'une des raisons d'être de ce film, pour François Armanet et Bayon, relève de l’ordre d’une quête secrète de rachat de "leurs pauvres conditions de petits mecs", selon leurs propres termes. Le cinéaste et le scénariste confient à ce sujet : "Nous avons eu sans doute nos côtés parfois misogynes, sexistes, beaufs, et c’était assez voluptueux de revêtir cette peau de passivité, d’écoute, de neutralité bienveillante, de ne plus être dans la position de frimer. J’avais un diapason pendant les interviews et les visionnages de rushes, c’était les yeux qui piquent. J’éprouvais parfois une sorte de tristesse bouleversée, devant les gestes, les expressions ou les mots des unes ou des autres. Il y a des instants de concerts où on atteint ce moment que Bataille définissait comme “là où le cœur défaille”, un basculement mystérieux, archaïque, païen. Si ces moments-là fonctionnent, alors on est un peu rachetés."
François Armanet et Bayon voulaient raconter soixante ans de musique en feuilletant l’album du rock français, sans souci d’exhaustivité. Ils expliquent comment les dix chanteuses qui interviennent dans Haut les filles ont été choisies : "On est parti de Françoise Hardy et Brigitte Fontaine, qui représentent l’avant-68 : les femmes n’ont pas de carnets de chèque, elles n’ont pas le droit d’avorter, la pilule n’est pas autorisée, c’est une société patriarcale à fond ! Tous ces droits nous paraissent banals aujourd’hui, mais à l’époque, ça ne l’était pas. Françoise Hardy, icône androgyne, choisissait une « soumission » volontaire à l’homme de sa vie, même si elle était indépendante d’esprit et financièrement. Brigitte Fontaine, qui avait signé le « Manifeste des 343 salopes », forgeait sa liberté à travers une forme de folie, véhiculant une image plus iconoclaste que Françoise Hardy, cassant les codes. Ces deux femmes nous paraissaient les deux piliers de départ, incarnant les années soixante de façon très différente mais également emblématique, pour arriver à aujourd’hui avec Jehnny Beth, Jeanne Added, Lou Doillon et Camélia Jordana. En passant par Elli Medeiros, Vanessa Paradis, Charlotte Gainsbourg, Imany... Dix femmes puissantes, un choix idéal."