Fuir à deux une société en crise qui pousse aux inégalités et la division est probablement une envie traversée par toutes les personnes qui en sont victimes. Alors lorsqu’on s’identifie pendant une projection cinématographique à ce couple qui en est finalement le symbole de toutes celles et ceux qui subissent les méfaits de cette même société, le ressenti d’une révolte mêlée à la frustration de n’être en définitive qu’assis sur un siège de cinéma nous émouvois immédiatement au plus profond de nous-même pour nous plonger dans cette fiction aux allures d’une réalité présente. En effet le premier film de Melina Matsoukas, très grande réalisatrice de clip notamment, nous offre donc la vision d’un couple victime d’une bavure policière qui n’a d’autre choix que de tuer leur agresseur pour survivre à ses attaques en dépit d’une justice qui pour eux les condamnerait sans aucun doute. Ainsi, ces deux personnages tout juste rencontrés via une application de rencontre, vont tenter de traverser le pays pour s’en échapper, le tout dans une ambiance de révolte d’une communauté écœuré par ceux qui ont le pouvoir, porté par une jeunesse en quête de liberté et d’émancipation à retrouver.
On peut ainsi soulever la plus grande réussite du film qui est cette mise en perspective d’un peuple au bord de l’explosion face aux diverses injustices auxquelles ils sont soumis, mêlé avec un couple qui se cherche entre les différentes péripéties qu’ils parcourent. On voit ainsi deux personnages dépassé (ce qui n’est en revanche peut-être pas assez montré) par la tournure d’évènements que ceux-ci n’ont en aucun cas choisis mais se portant volontiers symbole de l’oppression de leur communauté au péril de leur vie, amplifiant ainsi le fait que chacun est concerné par la situation actuelle d’être prêt à se sacrifier pour changer les choses. Le fait que ces deux personnages représentent donc chaque citoyen lambda ainsi que la confrontation de la mise en scène entre la révolte de la communauté noir et l’histoire des deux protagonistes nous offrent ainsi de véritables grandes et belles scènes de cinéma, notamment par le premier instant d’amour des deux protagonistes dans la campagne paisibles du sud des Etats-Unis avec de l’autre côté en ville un peuple qui se divise, se confronte même avec les forces de l’ordre, donnant une fin de séquence terriblement cruelle et déchirante, qui fait écho par ailleurs d’une certaine façon à celle des Misérables de Ladj Ly.
C’est lors de ces passages que le film excelle dans sa poésie à travers une musique adroitement choisi dans de longues scènes à l’intérieur de leur voiture jouant aussi avec l’extérieur au sein de la campagne américaine. Mais c’est bien par le surplus de ce genre de séquences que le film nous perd au fur et à mesure lors de leur cavale. De gros échecs scénaristique sont en effet à noter où l’on oublierait presque la fugue du duo amoureux par le manque de confrontation qu’ils rencontrent vers le milieu de l’histoire, tout en nous donnant d’ailleurs une fin ahurissante d’invraisemblances alors que le récit avait toutes les cartes en main pour réussir. On remarque ainsi de gros manques dans l’évolution du récit, des personnages, ou une histoire tout simplement trop longue, ainsi qu’une fin plus que décevante qui ternis quelque peu le ressenti final du film.
Par ailleurs, on peut noter des dialogues, modernes, très bien écrits, qui nous emmène dès le début avec les personnages, malheureusement jusqu’au moment où l’on force comme souvent un fond politique et engagé alors que l’histoire et le propos subtilement amené suffisaient amplement. D’autant plus que certaines formes de mises en scène sont déjà assez lourdes par ailleurs comme des dialogues qui passent en voix off sur une image au ralenti pour mettre en valeur très grossièrement ce qu’on exprime à cet instant, ou encore le parallèle historique très présent mais qui peut toutefois se justifier à certains moments dans le film. En effet, la vision des prisonniers à travers la fenêtre soumis au travail forcé à coté de la route à la Green Book rapportant aux esclaves dans les champs de coton. La réalisatrice ne manque ainsi pas de nous rappeler ce rapport de force inégal créé par des siècles d’Histoire pour façonner une société qui pousse toujours inévitablement les mêmes groupes d’individus vers l’échec, où aujourd’hui ce ne sont pas des critères raciaux qui rendent des minorités soumises mais sociaux qui, par le fait de toujours donner moins de chance dès le départ aux mêmes groupes d’individus, promettent d’alimenter indéfiniment ce rapport de force, sans aucune possibilité de changement, si ce n’est par la force à un moment donné. Certaines références peuvent alors paraître quelque peu grossière et sorti un peu de nulle part mais servent toutefois un propos puissant ambitieux, où des défauts sont bien perçus mais toutefois vers la volonté de créer un renouveau et une vraie modernité qui mérite inévitablement d'être vu en salle.