Il était évident qu’avec un casting comme celui-là je ne pouvais que me déplacer pour aller voir ce « Blackbird ».
Et ça tombe bien puisque ce film donne clairement la part belle à ses comédiens.
Pensé comme une sorte de huis-clos familial, « Blackbird » fait clairement partie de ces longs-métrage qui entend faire reposer son intérêt et son charme sur l’exploration de personnages et de relations problématiques ; un procédé qui – l’air de rien – appelle à beaucoup de savoir-faire et de délicatesse pour être efficace.
Or, quand on a Susan Sarandon, Kate Winslet, Sam Neill et Rainn Wilson à son service pour donner corps à tout ça, forcément ça facilite l’affaire…
Alors certes, oui, en un sens, « Blackbird » est loin d’être inefficace dans sa manière de faire.
S’appuyant sur une écriture solide de son intrigue, le film parvient à enchainer les moments de découverte, de questionnement et de retournement avec une certaine malice et un véritable sens de l’équilibre.
Chaque scène est d’autant plus efficace qu’elle prend la peine d’explorer sans cesse un personnage plus en profondeur, soit dans sa manière d’interagir avec tout le groupe, soit à l’occasion d’un échange plus particulier entretenu avec l’un des membres de ce cercle restreint.
Et l’ensemble fonctionne d’autant plus que tout ce jeu de découverte s’organise autour d’un moment fort particulièrement bien choisi pour susciter dès le départ des sensations contrastées et antagonistes :
le choix affiché et assumé d’un des personnages de passer un dernier week-end en famille avant de mettre fin à ses jours.
Seulement voilà, dans ce genre d’exercice, l’art de bien mener son affaire est fort délicat.
D’un côté il faut savoir rendre sensible les situations, mais d’un autre côté il ne faut pas trop en faire, au risque de crisper.
Et si, globalement, Roger Michell s’en sort plutôt bien la plupart du temps, se contentant d’une mise en scène assez sobre, agrémentée d’une musique suffisamment épurée et discrète pour faire convenablement son office, il n’empêche que l’artifice fut parfois palpable me concernant ; un peu trop souvent pour ce film parvienne à me prendre.
Ça ne tient pas à grand-chose, c’est vrai, mais assez régulièrement il y a ces moments un brun trop grossier et démonstratif pour qu’on n’y voit pas là une astuce de scénariste.
Par exemple, au début du film, le personnage de Michael annonce son arrivée en klaxonnant au loin. Sa femme, Jennifer, assise sur le siège passager, le rabroue dans l’instant. « Ce n’est pas comme si on arrivait à une fête » dit-elle. Une réflexion qui permet au spectateur de comprendre toute l’ambigüité de la situation sans qu’on la connaisse vraiment encore. Une réflexion qui aurait pu d’ailleurs se suffire à elle-même.
Mais voilà que la mère de Jennifer – Lily – apparait sur le perron. Le malaise s’exacerbe alors chez Jennifer qui décide – pour feindre l’aisance, de klaxonner nerveusement et d’afficher ostensiblement un sourire crispé.
La scène invitait clairement à sourire et pourtant, moi, ça m’a fait tiquer.
C’était trop forcé. Trop gros. Et au fond ça n’a rien ajouté de ce qu’on savait déjà : la situation est ambiguë et Jennifer est mal à l’aise avec ça.
Michell a voulu trop en faire, trop clarifier, trop signifier.
Et malheureusement se problème ressurgit souvent dans pas mal de dialogues.
Quand bien même ceux-ci expriment-ils assez fortement les traits de caractère de chacun, au point de frôler parfois la caricature, il faut malgré tout qu’en plus de ça Roger Michell et son co-scénariste Christian Torpe se sentent l’obligation de verbaliser leurs intentions en les faisant dire par d’autres personnages qui se plaindront régulièrement de telle ou telle attitude.
Et c’est bête parce que non seulement ce n’était pas nécessaire mais en plus ça participe à rendre quelques échanges un brin factices.
Malgré tout, cela n’empêche pas ce film de parvenir à quelques beaux moments justes et c’est vraiment tout à son honneur.
La scène du repas de Noël est par exemple particulièrement réussie.
On passe de la crispation, à la détente. Puis de la détente à la légèreté. Survient alors le moment de faire les cadeaux et alors survient l’émotion.
De la joie de se remémorer les bons souvenirs on bascule rapidement à la tristesse que suscitent de tels legs ; qui fonctionnent comme autant de rappels de ce qui surviendra à la fin du week-end.
Et alors qu’on pense que la scène va contempler cet instant d’au-revoir paisible bien que fort en émotion, l’intervention d’Anna fait tout voler en éclat. La décision de Lily qui paraissait jusqu’alors comme sage et admirable apparait soudainement comme égoïste et lâche.
Les bascules sont particulièrement bien menées et toutes les ambigüités du week-end se retrouvent finalement synthétisées en ce seul instant.
C’est habile.
Franchement, pour moi, cette scène c’est clairement le meilleur moment du film.
Mais ce qui est dommage avec ce film, c’est que cette justesse n’est que ponctuelle, et elle fait malheureusement cruellement défaut à un moment-clef : le climax final.
Lors de ce « face-à-face » final, chez moi, rien n’a fonctionné.
La tension monte artificiellement. Kate Winslet passe son temps à faire des aller-retours en n’arrêtant pas de faire lever la mayonnaise sans accoucher de ce qu’elle a à dire. Dès lors la caméra de Roger Michell ne sait plus où se poser et, dans le doute, se cache derrière un plan d’ensemble tout plat où tout le monde est figé sauf Kate Winslett qui va d’un bout à l’autre de la pièce. Puis chacun réagit à tour de rôle, déroulant le récit qui est attendu de lui, avant d’arriver à une révélation assez prévisible et qui – pour ma part – ne me choque en rien.
Vient alors ce plan où, par un traveling assez lourdaud, chacun opine du chef pour accepter la décision de mamie Lily.
Ah ça ! J’avoue ça m’a tué.
Du coup, à bien tout prendre, j’avoue que mon impression finale de ce film est quand même assez terne.
J’aurais pu la percevoir comme une œuvre touchante parce qu’universelle et « relativiste » à la Suzanne Bier, mais au lieu de ça je n’ai pu m’empêcher de la ressentir comme une énième complainte bobo qui passe son temps à s’accabler sur ses petits problèmes existentiels de riches.
Et c’est dommage parce que ce n’est clairement pas ce que voulait en faire Roger Michell.
Comme quoi, sur ces questions là, l’équilibre d’une œuvre est délicat.
…Et quand la délicatesse vous manque, c’est tout un instant – crucial soit-il – qui peut être gâché…