En 1940, trois ans après le triomphe de Blanche-Neige et les Sept Nains, Walt Disney tente de transformer l’essai du succès. Mais en dépit de nouveaux progrès dans les techniques d’animation, Pinocchio ne rencontre pas l’accueil espéré et demeure à nos jours comme un semi-échec.
Cette fois, l’inspiration du génie de l’animation n’est pas à chercher du côté de l’Allemagne et des frères Grimm, mais de l’Italie. En effet, en 1881, le journaliste et écrivain italien Carlo Collodi commence la rédaction d’un conte intitulé « Les Aventures de Pinocchio », qui est publié deux ans plus tard. En 1936, une première adaptation cinématographique de l’œuvre est réalisée, dans son pays d’origine, mais est restée inachevée. En 1939, le conte est joué sur les planches d’un théâtre de Los Angeles. Mais à cette époque, l’histoire originale de Collodi a déjà été largement modifiée.
Contrairement à l’idée du film Blanche-Neige, celle de Pinocchio n’est pas venue de l’esprit de Walt Disney en personne, mais de celui de l’une de ses amies, qui lui en fait part dès 1935. Finalement, après une relance en 1937, le projet est mis en route.
Le principal défi auquel se confrontent Walt Disney et son équipe de 750 artistes est celui du scénario. Dès le début, la volonté est affichée de conserver l’esprit original du conte, mais sa part bien plus sombre que Blanche-Neige inquiète le studio. Six premiers mois de travail sont abandonnés alors que le budget atteint déjà les 500 000 dollars, Walt Disney ne retrouvant pas la tendresse et la douceur de son premier long-métrage. En mars 1938, le projet repart donc sur de nouvelles bases.
L’aspect graphique du film est progressivement influencé par deux artistes qui ont déjà beaucoup contribué à la réalisation de Blanche-Neige et qui s’efforcent ici d’illustrer des décors d’inspiration européenne (la Bavière notamment, pour le village de Pinocchio). D’ailleurs, l’une des principales innovations techniques du film a consisté en une nouvelle méthode de colorisation de ces décors.
Plusieurs outils élaborés pour produire Blanche-Neige sont réutilisés, dont la caméra multiplane et le rotoscope. Enfin, pour approcher la meilleure représentation possible du personnage de Pinocchio, un département de fabrication de maquettes a même été créé.
L’élaboration du personnage principal de cette aventure puise ses racines dans la Commedia dell’arte, avec une apparence proche de celle d’Arlequin. Quant à Jiminy Criquet, bien plus développé dans le film que dans le conte, il a fait l’objet de nombreuses analyses psychologiques, mais sa présence marque une première dans la filmographie Disney : celle du personnage secondaire assistant le principal et ayant la capacité de briser le Quatrième mur.
Finalement, le budget du film atteint les 2,5 millions de dollars, soit près du double de celui de Blanche-Neige (1,5 millions). Pour plusieurs critiques et spécialistes de l’animation, Pinocchio est le meilleur des films Disney pour sa prouesse technique dans l’animation des personnages qui frôle le réel et sa capacité à retranscrire les émotions. Néanmoins, son accueil au box-office est bien plus mitigé : aux Etats-Unis, pour des raisons culturelles ; et en Europe, à cause du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, pour certains, son échec serait plutôt à chercher du côté de sa part sombre, qui a probablement pu dérouter de nombreux spectateurs ayant gardé le souvenir féérique de Blanche-Neige. Et force est de reconnaître l’aspect dramatique, voire tragique, de l’œuvre. Une atmosphère amplifiée par certaines compositions musicales angoissantes, ainsi que par des scènes sombres et oppressantes, où la lumière est souvent absente, comme dans le ventre de Monstro ou sur l’île des plaisirs. Sans parler du scénario qui est, en soi, déjà bien plus ténébreux que celui de Blanche-Neige, entre enfermement dans une cage, transformation en âne et capture par une baleine.
En France, le film ne sort dans les salles qu’en 1946, en même temps que Fantasia, la production suivante qui est déjà prévue en 1940, à la sortie de Pinocchio dans les salles américaines. Pour compenser les faibles revenus du film en Europe, Walt Disney décide de faire ressortir Blanche-Neige et les Sept Nains dans les salles, accompagné de courts-métrages. Toutefois, fort heureusement pour lui, le coût de production a été rentabilisé grâce à ses sorties européennes après la guerre.
Aujourd’hui, bien que Pinocchio ne fasse pas partie des Disney préférés du grand public, sa qualité graphique a su convaincre les spectateurs les plus avertis. De plus, n’oublions pas de mentionner la musique d’introduction, « Quand on prie la bonne étoile », qui a reçu l’Oscar de la meilleure chanson originale en 1941, ainsi que son inscription à la septième place des 100 meilleures chansons du cinéma américain.