Henri Mohen (Yvan Attal) est un écrivain quinquagénaire en panne d’inspiration. Il a écrit vingt cinq ans plus tôt, après un séjour à la Villa Médicis à Rome dont il garde la nostalgie, un best-seller. Grâce aux revenus générés par ce roman, il a acheté une villa luxueuse au Pays basque, s’y est installé avec sa femme Cécile (Charlotte Gainsbourg) et y a élevé ses quatre enfants aujourd’hui devenus adultes.
Mais Henri étouffe auprès de sa femme que la vie loin de Paris a rendue dépressive et de ses quatre adulescents inaptes à prendre leur destin en mains. Incapable d’écrire une ligne valable, Henri retrouve néanmoins goût à la vie lorsqu’y déboule un énorme mastiff bientôt baptisé Stupide.
Publié en 1985, deux ans après la mort de John Fante, "Mon chien Stupide" met en scène un quinquagénaire aigri. Il n’est pas sans rappeler les héros des romans de Jean-Paul Dubois (dont je parie qu’il recevra le prix Goncourt lundi), notamment celui interprété par Jean-Pierre Bacri dans l’adaptation tournée en 1999 de "Kennedy et moi".
Il fallait un sacré culot à Yvan Attal pour se glisser dans ce rôle pas forcément sympathique, pour confier celui de son épouse à sa femme et, pour couronner le tout, celui de son fils aîné à l’un de leurs enfants. L’acteur-réalisateur n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà flirté avec l’autofiction avec "J’ai épousé une actrice" en 2001 et "Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants" en 2004. Mais la charge est ici particulièrement audacieuse.
Sans doute cette veine vient-elle d’être explorée avec un indéniable succès par Guillaume Canet qui a mis en scène son couple dans "Rock’n roll" et sa bande d’amis dans le dyptique "Les Petits mouchoirs"/"Nous finirons ensemble". Mais cela ne retire rien à l’audace dont le couple Attal/Gainsbourg fait preuve en appuyant là où ça fait mal. Il faut avoir bigrement confiance dans la solidité de son couple pour consacrer un film à l’inexorable délitement que vingt-cinq ans de conjugalité provoquent : baisse de la libido, tracasseries quotidiennes montées en épingle, place envahissante des enfants…
Alors que des tripotées de films hollywoodiens font l’éloge convenu du noyau familial, bastion ultime contre la violence du monde, c’est avec une joie mauvaise qu’on le voit ici mis en pièce. Henri affiche sans vergogne l’aversion que ses enfants lui inspirent, qu’il accuse de l’avoir privé de son inspiration créatrice. Les enfants d’Yvan Attal et de Charlotte Gainsbourg ont probablement ri jaune à la lecture du scénario en découvrant les traits des quatre enfants (le couple n’en a que trois dans la vraie vie) de Henri et de Cécile : l’aîné est un fumeur de shit subjugué par une cagole, l’unique fille est en couple avec un militaire bas du front, un autre, sans talent, n’a aucune passion sinon celle du surf, le cadet est le moins taré mais son intelligence s’est dévoyée dans l’écologisme radical.
Le problème du film est qu’il ne respecte pas cette ligne là jusqu’au bout.
Le personnage de Henri est trop antipathique, la détestation de ses enfants trop politiquement incorrecte pour être tenables jusqu’au bout. Yvan Attal est trop cool pour qu’on ne finisse pas par s’attacher à lui – comme on s’attache à son molosse priapique. L’adoration qu’il voue à Charlotte Gainsbourg est trop omniprésente pour que l’éclatement de leur couple soit crédible et leur réconciliation finale évitable. L’amour qu’il porte à ses enfants est trop grand pour que, après le départ des Tanguy du nid familial, le dialogue, plus apaisé, ne soit renoué.
"Rock’n’roll" avait plus d’audace qui, dans son dernier quart d’heure, poussait la transgression jusqu’au bout.