Après avoir évoqué dans Aferim, l’esclavage des Roms au XIX iem siècle, où dans une espèce de western des Balkans , on voyait un policier et son fils parcourir la campagne roumaine à la recherche d’un esclave gitan accusé d’avoir séduit la femme du seigneur local… Chemin faisant, le père faisait l’éducation du fils à grand renfort d’aphorismes, de lieux communs et de proverbes, tous fortement teintés de racisme, de misogynie, de xénophobie,
l
e tsigane est un corbeau, mais le summum dans la bouche d’un prêtre orthodoxe rencontré en chemin est le juif, rangé au rang des sous-hommes
….dans son nouveau film, Radu Jude se penche sur une histoire plus récente et occultée celle du massacre des juifs d’Odessa par l’armée roumaine. Ces massacres sont parmi les plus importants de la Seconde guerre mondiale après ceux des camps d’extermination nazis, plus de vingt mille civils trouveront la mort entre le 22 octobre et le premier novembre 1941. Ils sont suivis par l'extermination dans les camps du Yédisan d'environ 115 000 Juifs et 15 000 Roms déportés de toute la Roumanie…La Roumanie est alors dirigée par le maréchal Antonescu, dictateur d’une Roumanie fasciste, allié de l’Allemagne nazie entre 1941 et 1944… Le 22 octobre 1941, six jours après l'entrée des troupes roumaines à Odessa, les partisans soviétiques font exploser le quartier général roumain de la ville. L'explosion tue le général Ion Glogojanu, commandant d'Odessa, 16 officiers, 46 sous-officiers et soldats roumains ainsi que 4 officiers de marine allemands. Les soldats roumains ayant échoué dans la capture des véritables auteurs de l'attentat, cachés dans les catacombes de la ville, le maréchal Antonescu ordonnera des représailles implacables contre la population civile, en particulier contre les Juifs, prétendant, conformément à sa propagande, que tous les juifs sont communistes.
Aussitôt, le nouveau commandant d'Odessa, le général Trestioreanu annonce qu'il va prendre des mesures pour pendre les juifs et les communistes sur les places publiques. Durant la nuit, 5 000 Juifs sont exécutés, pendus en groupes de 3 à 5 victimes à chaque lampadaire le long des boulevards d'Odessa. Le 23 octobre, 19 000 Juifs sont exécutés et leurs cadavres arrosés d'essence et brûlés.
Le maréchal Antonescu aura cette phrase « «Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares » titre du film de Radu Jude...Il n’y a pas à Bucarest de lieu de mémoire de la Shoah, il n’y a que ce musée militaire national plutôt délabré pour témoigner d’une histoire officielle. C’est ce décor que la jeune metteuse en scène Mariana Marin ( ravissante Ioana Iacob) investit pour répéter avec une bande de figurants indisciplinés un spectacle consacré au sort des juifs pris en tenaille entre les armées allemandes, roumaines et soviétiques…dans un joyeux charivari où chacun a son mot à dire sur ce qui convient ou pas à la mise en scène.. et déjà on entend chez de vieux figurants des propos négationnistes…cette première partie est un peu longue et le film démarre vraiment quand le responsable municipal des affaires culturelles, Movilà, conseille à Mariana de plutôt s’intéresser aux crimes du communisme, mais Mariana ne veut pas faire des roumains des victimes, car c’est en bourreaux qu’elle veut les présenter…Et ces deux personnages s’affrontent dans un débat philosophique convoquant Wittgenstein ou Hannah Arendt qui considérait la Roumanie comme le pays le plus antisémite en Europe, le représentant de la municipalité lui jetant d’autres massacres, africains ceux là, les Hereros de Namibie …dialogue cyniquement érudit par lequel il veille à ce que Mariana n’aille pas trop loin dans la représentation des pogroms et des tueries…sans manquer de souligner que c’est lui qui tient les cordons de la bourse…Au fur et à mesure des répétitions, à mesure que les obstacles se dressent sur sa route, Mariana se durcit dans une posture de plus en plus messianique « je me battrai jusqu’à la mort pour cela » Le spectacle finit par se dérouler sans vraiment impressionner le public qui au contraire applaudit ses soldats et suscite des réactions plus qu’ambigües. Mariana qui voulait faire ressurgir la vérité dans un spectacle qui se voulait cathartique est félicitée pour ses « petites insolences artistiques » Auparavant on aura pu écouter le discours d’une adjointe au maire qui rappelle également que l’antisémitisme roumain est bien plus atavique que circonstanciel, s’insinue dans les propos d’éminents scientifiques comme le découvreur de l’insuline, Nicolae Paulescu, d’éminents représentants ecclésiastiques tels que le Patriarche de la Sainte Eglise orthodoxe roumaine, Miron Cristea. Ce film fort et prenant laisse peu d’espoir sur la possibilité d’un pays de partager une histoire commune et de regarder en face les zones d’ombre du passé ...Dommage que ce film ne soit présenté que dans deux cinémas sur Paris.