Le film coup de poing par excellence, ou l’enfer des drogues vu par un œil virtuose et sans concessions. Une déflagration d’une puissance inouïe, qui laisse physiquement sur le carreau. L'histoire est celle de Harry Goldfarb qui est un junkie. Il passe ses journées en compagnie de sa petite amie Marion et son copain Tyrone. Ensemble, ils s’inventent un paradis artificiel. En quête d’une vie meilleure, le trio est entraîné dans une spirale infernale qui les enfonce toujours un peu plus dans l’angoisse et le désespoir. La mère d’Harry, Sara, souffre d’une autre forme d’addiction, la télévision. Juive, fantasque et veuve depuis des années, elle vit seule à Coney Island et nourrit dans le secret l’espoir de participer un jour à son émission préférée. Afin de satisfaire aux canons esthétiques de la télévision, elle s’astreint à un régime draconien. Un jour, elle le sait, elle passera de l’autre côté de l’écran. "Requiem for a dream" est typiquement ce genre de film qui laisse des traces indélébiles, ce genre de choc cinématographique dont on se souvient des années après sa vision, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Quiconque a vu "Requiem for a dream" a toujours en tête ses images percutantes, sa longue descente aux enfers finale, sa musique sublime signée Clint Mansell, dont les cuivres obsédants donnent au film une envergure hors du commun. Après un premier long-métrage très plébiscité ("Pi"), le jeune Darren Aronofsky confirme son aptitude à se saisir de sujets extrêmes, qu’il traite sans concession aucune. Il montre méticuleusement, avec un soin du détail glaçant (quotidien miséreux, décor crapoteux d’un quartier de Brooklyn, solitude qui transperce à chaque seconde, plaies qui déchirent la chair), comment toute forme de dépendance détruit l’individu. Le parcours des quatre laissés-pour-compte du film est d’autant plus poignant qu’Aronofsky lui donne une dimension tragique : rien, semble-t-il, ne peut les détourner de l’issue fatale qui les attend, pas même les rêves, pas même l’amour filial ou passionnel qui anime pourtant Harry, Marion et Sara Goldfarb. Dès l’instant où l’aiguillon de la dépendance se fait sentir, chacun est plongé dans une spirale destructrice foudroyante, une sorte de voyage au bout d’eux-mêmes qui les conduira aux pires tortures (prison, gangrène du corps, folie dévorante) ou aux pires extrémités (Marion se vendant de la manière la plus honteuse possible pour obtenir une simple dose). Le film tend quelques perches d’espoir dérisoires à ses personnages, qu’il balaie aussitôt d’un revers de destin, avec violence, et le titre du film, magnifique, acquiert toute son ampleur. Darren Aronofsky est assez ambitieux pour ne pas s’attacher à un seul exemple de drogue, dans sa conception et sa représentation les plus facilement repoussantes (l’héroïne, les piqûres) : le cinéaste aborde le sujet dans son entier. Ainsi, il est autant question de la came que s’injecte Harry que des comprimés qu’avale sa mère pour maigrir, en passant par la bouffe, les programmes télé ou le sexe. Le réalisateur installe un malaise diffus et pernicieux, tandis que percent çà et là quelques éclairs d’humanité qui donnent au film une sincérité, une vérité qui vont bien au-delà de l’exercice de style (telle cette poignante confession de Sara Goldfarb, consciente de sa solitude). A ce titre, il faut saluer le jeu des acteurs, notamment celui de Jennifer Connelly, tout en retenue, et surtout celui d’Ellen Burstyn, proprement habitée. Mais là où Aronofsky frappe fort, c’est par sa manière de traiter visuellement son sujet. La redoutable maîtrise technique dont il fait preuve se double d’une intelligence remarquable, qui le conduit à adapter le roman d’Hubert Selby Jr (qui collabora au scénario) avec un maximum d’effets modernes et radicaux, issus du vidéo clip : montage parallèle, split screen, succession d’images quasi subliminales, longues plages hypnotiques, plans en accéléré... Tous ces choix stylistiques, qui pourraient être identifiés à un style tape-à-l’œil vaguement nauséeux en d’autres contextes, sont ici retournés pour provoquer un véritable choc sensoriel et visuel, et trouvent une vraie puissance d’expression. A ce titre, "Requiem for a dream" se termine sur un pur morceau de bravoure d’une bonne demi-heure éprouvant pour les nerfs, un long moment de cauchemar où les personnages (et les spectateurs) sont plongés la tête la première dans un grand bain de sang, de sueur et de folie. Ce final impressionnant multiplie les sensations fortes et fonctionne comme une expérience traumatique dont on a du mal à se relever, dont on ressort épuisé, vidé... Vivant, en somme. Un film dramatique franchement magistral