Les beaux sujets font-ils de bons films ? Parfois, pas toujours… Avec « Intouchables », le duo Nakache-Toledano avait été touché par la grâce, il avait proposé un film formidable, qui traitait du handicap de manière novatrice et sans pathos. Avec « Hors Norme », ils s’attaquent à un sujet encore plus difficile, moins consensuel aussi : le handicap mental et plus particulièrement l’autisme, cette maladie mystérieuse et protéiforme. J’imagine qu’il est naturel d’aller voir ce film avec une légère appréhension, par peur de se sentir voyeur, pas peur d’être mal à l’aise. De ce côté-là, Eric Toledano et Olivier Nakache ont appliqué à « Hors Norme » la même recette que celle qui avait fonctionné avec « Intouchable » : ne jamais céder au pathos. Les scènes difficiles, celles qui font affleurer les larmes (et il y en a plusieurs, c’est inévitable), ne durent jamais longtemps et sont immédiatement désamorcées par des scènes de comédie. Même si l’humour est plus discret, il est bel et bien là, avec des running gags qui fonctionnent : les rendez-vous galants foirés de Bruno, le gâteau à l’ananas, l’amour-haine de Joseph avec la RATP. Mais soyons honnêtes, l’humour n’est pas la colonne vertébrale de leur film, il est juste là pour colorer le propos et atténuer la gravité du sujet qui est réelle. C’est très bien mis en scène, avec une utilisation du flou intéressante pour « figurer » ce qui se passe dans l’esprit des jeunes malades Le montage est dynamique, la musique parfaitement bien choisie et placée, c’est du travail bien propre, sobre et efficace. Là où le défi était surement plus balaise, c’est dans la direction d’acteur. Je ne parle évidemment pas de Reda Kateb (j’ai déjà eu à maintes reprises l’occasion de dire tout le bien que je pense de lui, de ses choix, de son talent) ni de Vincent Cassel, étonnant de pudeur et de retenue. C’est la preuve que quand il est bien dirigé et non laissé en roue libre (cf. l’irregardable « Fleuve Noir »), il peut encore nous surprendre, après presque 30 ans de carrière. Les seconds rôles sont aussi impeccables, Bryan Mialoundama est très bien, Hélène Vincent est bouleversante juste avec quelques scènes, Alban Ivanov est génialement drôle. Mais pour moi, le vrai challenge, ce sont les jeunes malades. Quand le cinéma veut filmer le handicap mental, il a deux options : faire jouer par les acteurs valides ou bien par des vrais handicapés. Dans le premier cas, le risque de « singer » la maladie est grand et c’est la catastrophe, tout le monde n’est pas Dustin Hoffmann ! Dans le second cas, on prend un risque, celui de placer le spectateur dans le rôle du voyeur et c’est tout le travail du réalisateur qui s’en trouve singulièrement compliqué. Mais ce qui est sur avec la deuxième option, c’est que cela offre aux handicapés une expérience qui leur est, je n’en doute pas une seule seconde, terriblement profitable humainement. C’est donc ce choix difficile mais payant qu’on fait Olivier Nakache et Eric Toledano. C’est donc pour moi le moment de parler de Benjamin Lesieur, dont la performance est indéniable dans le rôle de Joseph. A la source de beaucoup des scènes d’humour du film, il semble se sentir comme un poisson dans l’eau dans le film et ça super plaisir à voir. Les autres acteurs autistes ont été admirablement dirigés et accompagné par Reda Kateb mais surtout par Vincent Cassel qui semble avoir créé avec eux une relation très forte. Tout cela transpire à l’écran et apporte énormément au film. Le scénario pourrait apparaitre comme le point faible du film, car il n’y a pas d’intrigue à proprement parler. « Hors Norme » est plutôt un grand état des lieux de l’autisme en France et du retard abyssal pris par ce pays dans la prise en charge des malades adultes. L’administration y est un peu présentée comme tatillonne et procédurière face à des associations dynamiques et très engagée. On peut penser que le manichéisme est un petit peu trop marqué. Si le film ne s’inspirait pas de vraies personnes, de vraies associations, on pourrait trouver que le côté juif orthodoxes/musulmans pratiquants main dans la main sonnerait comme un peu trop « politiquement correct ». Mais comme apparemment c’est le reflet d’une réalité bien tangible, alors on ferme sa bouche et on se dit qu’on aimerait bien voir ça plus souvent, au cinéma et ailleurs…
Il n’y a pas de réel suspens quant à la fermeture ou pas de l’association « Le Silence des Justes », vu que personne ne sait vraiment quoi faire de ces jeunes autiste, il parait évident qu’ils vont passer entre les gouttes. Sauf que le problème n’est pas résolu, la prise en charge est toujours déficiente, l’Etat de décharge sur eux et ce n’est pas près de changer.
La scène de la fugue de Benjamin, assez anxiogène pour le spectateur, n’est pas forcement amené de façon subtile (on la voit bien venir) mais elle reste quand même un moment fort du film, et on imagine en plus qu’elle est parfaitement crédible. Comme quoi, on peut faire au cinéma des scènes très anxiogène avec pas grand-chose ! C’est vrai que « Hors Norme » respire les bons sentiments, et comment pourrait il en être autrement ? Qui aurait préféré le cynisme sur un sujet pareil ? Les bons sentiments ne font pas toujours des grands films. « Hors Norme » n’est pas un très grand film, il n’aura pas le succès intersidéral d’ « Intouchable », il est plus douloureux, plus difficile d’accès. Mais c’est un bon film, bien filmé, bien interprété et qui pose des questions fortes et pertinentes. C’est ce que j’en attendais, je n’ai pas été déçue.