À Paris, le réalisateur Philippe Ramos aime observer les gens perdus dans leurs pensées. "Souvent, je me demande quels mots viennent à leurs esprits ou quelles images apparaissent devant leurs regards si vagues. Je crois vraiment que le premier désir d’écriture des Grands Squelettes est né avec ces femmes et ces hommes soudain plongés dans une certaine forme de solitude. Montrer les fantômes qui les hantent, faire entendre leur petite voix intérieure est bientôt devenu une obsession."
Philippe Ramos a commencé par réunir toute une matière première en guise de source d’inspiration. Cette matière première était composée de trois éléments. D’abord, des photographies : des personnes perdues dans leurs pensées, des corps, des détails de la ville. Puis, du texte : des extraits de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. "Et enfin, des notes sur des expériences vécues par des personnes de mon entourage ou par moi-même. À partir de ces matériaux éparses, j’ai associé, de manière très intuitive, photographies, textes de Barthes et expériences de vies. Cela m’a aidé à imaginer des situations, à rêver des personnages. Imprégné de ces éléments, j’écrivais alors les pensées de ces hommes ou de ces femmes sous forme de monologues intérieurs. Je cherchais des phrases d’une grande simplicité. Je ne voulais rien d’ostentatoire, de très stylisé. Environ quarante monologues furent écrits sur des fiches. Pour élaborer le scénario, j’ai « monté » cet ensemble de fiches exactement comme on le ferait avec les séquences d’un film. In fine, un ordre a été trouvé et, seuls treize monologues ont été finalement conservés."
Ce qui est étonnant dans l’histoire de la fabrication de ce film, c’est que, malgré une écriture inspirée directement de nombreuses photographies, jamais Philippe Ramos n'avait imaginé que la mise en scène serait construite à partir d’images fixes. "C’est seulement après avoir achevé le scénario que j’ai soudain pensé extraire mes personnages de la vie en mouvement. Il me fallait ébranler la réalité, la démunir de ses vêtements si l’on veut, la montrer à nue, autrement. Si j’avais tourné ce film de manière classique, sur l’écran tout aurait été vivant, bruyant, nous aurions sans cesse été distraits par quelque chose dans l’image, par un son, par une musique, et cette intériorité radicale que je cherchais à montrer aurait fortement risqué de nous échapper. Au contraire, grâce à la douce immobilité que procure une mise en scène construite à base de photographies et une bande sonore extrêmement épurée, j’espère avoir atteint un territoire secret, un territoire invisible et silencieux : le monde de nos pensées, notre for intérieur."