À sa sortie en salle, je n'avais pas eu l'occasion, bien que je le souhaitais, d'aller voir ce film. Je ne me le suis pas défloré en regardant articles et bandes-annonces, mais j'avais un sentiment favorable que ses nombreuses nominations semblaient valider. Je précise cela car, souvent, le corollaire d'une forte attente peut entraîner une déception, on devient plus intransigeant, moins souple... là, en revanche, le film a dépassé toutes mes attentes, bien que je l'ai vu presque 5 ans après sa projection. L'écriture est délicate et intelligente, (je ne dis pas érudite, pour éviter de freiner ceux qui on peur d'un cinéma élitiste), et certains échanges sont d'une troublante poésie (l'écriture est magnifique, les échanges valent des citations de livre), mise en scène et "photo" sont époustouflantes de perfection esthétique, de beauté symbolique, de composition maîtrisée. Je triche sans doute, étant illustrateur et peintre, mais la richesse visuelle, les allusions à la peinture, sa tradition, ses thèmes, son histoire; son contexte à l'heure du récit et ses références sont éclatantes, mais digestes pour le néophyte : l'inconscient collectif et le bain de culture pictural vous guideront à, si ce n'est reconnaître et comprendre, éprouver et vous satisfaire.
Le duo, le trio, voir le quatuor d'actrices, représentant différents aspects (sociaux) de la condition de la femme dans la société du 18eme siècle, est magique : casting parfait. Je décerne au passage une mention spéciale à Luàna Bajrami, dont le rôle, pourtant plus discret , crève l'écran de justesse (je l'avais bien aperçu dans "les deux Alfred", mais là je l'ai vue). Quant à Noémie Merlant et Adèle Haenel ? Garch ! Quel plaisir de les voir jouer de façon si troublante, si aboutie des émotions complexes, de révéler un sous-texte dans de simples jeux de regards, de communiquer de manière si forte des sentiments bruts qui envahissent le téléspectateur... la caméra, comme un œil, contribue si bien à ce résultat, mais fichtre ! quel jeu d'actrices tout de même ! J'en pleure encore en rédigeant ma critique. Bien sûr, je ne révèle rien de plus ici, pour ne pas gâcher le plaisir de celui ou celle qui pourrait, comme moi, découvrir ce film sur le tard, mais c'est un régal pour les yeux, le cœur et l'intellect.
Je vais faire allusion à un seul plan, que je déconseille de lire à quiconque n'aurait pas encore vu le film, mais qui illustre bien plusieurs aspects de ce film que j'ai tant aimé, dans sa forme et son fond :
Dans un plan final, Marianne (Noémie Merlant), assise dans les loges du premier balcon d'un théâtre, assiste à l'arrivée d'Héloïse (Adèle Haenel) au balcon d'en-face, près de l'avant-scène. Marianne fixe son regard sur Héloïse qui ne la remarque pas, le concert commence, la musique est celle de Vivaldi (L'estate) que Marianne a fait découvrir à Héloïse en pianotant sur un clavecin lors de son séjour. La caméra zoom sur Héloïse, lentement depuis le point de vu de Marianne... le plan est fixe jusqu'à ce que le zoom soit complet. À partir de là, comme une GoPro pourrait le faire en bout de perche, fixée sur son sujet, l'image se lie à Héloïse comme point de référence et quand elle se meut, c'est l'environnement qui semble bouger. L'effet produit, lors de l'expression des différentes émotions qu'éprouve Héloïse, que l'on lit sur son visage, est décuplé par ce choix de prise de vue, le vertige n'en n'est que plus grand. La scène est déchirante et magnifique, tout y est juste et parfait : le jeu d'actrice, l'art de la cinéaste, la beauté de la musique et le défilement limpide des sentiments. C'est d'un raffinement exquis.
C'est assurément un des plus beaux film qu'il m'est été donné de voir.