Béatrice Camurat Jaud avait déjà produit plusieurs documentaires et Grande-Synthe est son premier film derrière la caméra. La réalisatrice a choisi ce sujet parce que cette commune française habite ses pensées depuis qu'elle s'y suis rendue, la première fois, en juin 2015, à l'occasion de la projection en avant-première de Libres ! de Jean-Paul Jaud, qu'elle produisait. Elle se rappelle :
"En arrivant dans la ville, j’ai d’abord découvert un univers dantesque, avec les haut-fourneaux d’ArcelorMittal au loin, les cheminées de la centrale nucléaire de Gravelines. Visuellement, le choc a été presque aussi grand qu’à Fukushima. Puis nous avons traversé la ville – ses bâtiments HLM construits à la hâte en chemins de grues dans les années 70 –, ses rues vides. J’étais sous le choc, encore... jusqu’à ce que j’arrive au cinéma. Là, j’ai rencontré des gens curieux, passionnants, cultivés, attentifs, patients, humbles, ouverts. Je suis tombée sous le charme des habitants... Je me souviens avoir noté dans mon carnet « idée pour le prochain documentaire : Grande-Synthe ». J’étais tellement séduite, indignée, bouleversée que cela m’envahissait de toute part."
Béatrice Camurat Jaud s'est rendue sur place durant plus d’un an, du printemps 2016 à l’été 2017, pour apprivoiser le territoire et ses habitants, se rapprocher du tissu associatif et faire oublier la caméra. La cinéaste a vraiment cherché à se fondre dans le paysage. Elle explique :
"Dans le lieu d'accueil humanitaire de la Linière, j’ai commencé par faire du bénévolat, en travaillant d’abord avec Utopia 56. Il n’était alors pas question de venir avec la caméra. J’ai pu commencer à filmer après, en m’intégrant à l’équipe de bénévoles du RECHO, qui tente de ramener de la vie dans les camps de réfugiés, autour d'un food truck. Je n’hésitais pas à lâcher la caméra pour mettre la main à la pâte ou faire la vaisselle. Pour moi, il faut d’abord donner pour avoir le droit de filmer. Quatre saisons, cela a aussi été précieux pour entrer en complicité avec les personnages principaux du film... Je pense par exemple à Damien Carême, qui a peu à peu oublié son habit de maire charismatique, pour dévoiler une personnalité sensible, avec ses failles et ses moments de doute."
Pollution industrielle, crise migratoire, chômage record sur fond de fermeture d’usines... : la ville de Grande-Synthe (59) ressemble à un concentré des catastrophes auxquelles l’humanité sera demain confrontée. Pourtant, en dépit de ce tableau noir, des pépites de « Beau » surgissent dans la ville. Ici, on ne se révolte pas, on ne se résigne pas non plus. Les citoyens, sous l’impulsion de leur maire Damien Carême, se retroussent les manches et inventent l’avenir. La ville, aujourd’hui en pointe sur les questions de transition écologique, devient un laboratoire du futur.
C’est ce territoire, meurtri mais en résilience, que Béatrice Jaud a souhaité filmer. Pour rendre hommage à ses habitants, qui l’ont inspirée et touchée. Mais aussi pour nous donner le courage, où que nous soyons, de nous mettre en mouvement et d’agir. Une démarche concrète et sans angélisme, qui résonne avec l’actualité. "Si on est renvoyé à nos éléments d’impuissance, on cultive l’impuissance », explique l’économiste Christian du Tertre, qui intervient dans une scène du film. En écho, Damien Carême répond : « Inutile de se répéter 30 000 fois que le rapport de force est en faveur du capital et de la mondialisation. La question est de savoir : qu’est-ce qu’on peut faire maintenant ?", explique-t-elle.