Un énième film de guerre sur la période 14-18, quoi faire pour se démarquer et marquer les consciences ? Et bien prendre le parti pris d'en faire un plan séquence de 2h ! Et pour être franc, c'est clairement ce parti pris artistique qui fait ce film. Bien que techniquement, il faut bien préciser qu'il ne s'agit pas d'un plan séquence intégral mais plusieurs plans longs raccordés ensemble pour donner l'illusion de 2 plans séquences (puisqu'un fondu au noir et une ellipse volontaire a lieu au milieu du film). On arrive d'ailleurs a percevoir assez facilement certains raccords plans, de nombreux volets de transition sont assurés avec les mouvements rapprochés des sacs à dos, l'obscurité de certaines scènes, les mouvements brusques (explosion) ou encore avec le passage de tronçon d'arbres ou décor devant la caméra... Mais l'illusion est vraiment bien maîtrisée.
En tout cas, c'est ce parti pris du faux plan séquence qui permet de créer une immersion totale, on suit pas à pas ces 2 soldats britanniques chargés de rapporter un message à un autre bataillon pour leur éviter de se retrouver piégés par les allemands. La base scénaristique et l'enjeu est très simple et limpide, posé très rapidement dés le début du film. C'est aussi le problème du plan séquence, il est difficile d'imaginer un scénario de plus grand envergure car l'histoire est limité au plan séquence, et donc à la temporalité de ces actions. Mais même si le scénario est effectivement basique, on ne s'ennuie à aucun moment. C'est rythmé, les péripéties et les différents obstacles rencontrés par le duo de personnage sont bien équilibrés, alternant moment de calme, de tension, et moments d'attaques, de danger. L'alternance des décors est aussi bien choisi, chaque décor amènant son degré de tension et d'éléments perturbateurs
(que ce soit les tranchées, les vastes étendues de champs de bataille, la maison abandonnée, le pont et le village de nuit, etc).
J'ai aussi bien aimé le fait qu'on ne s'attarde à aucun moment sur ce qu'on a déjà vu maintes et maintes fois dans les films de guerres (les conditions de vies dans les tranchées, les attaques sanglantes, etc). Finalement, on montre très peu la confrontation sanglante et atroce qu'une telle guerre suppose. Il est beaucoup plus question de devoir et sacrifice de soi, d'accomplissement de la mission et donc du courage physique et mental des soldats. Bien sûr, le duo de personnages britannique est montré comme "solidaire et humain" avec l'ennemi
(le sauvetage du pilote de l'avion qui se crashe cause la mort du soldat britannique, dans le village de nuit le 2ème voulait épargner la vie du soldat allemand avant que celui-ci le trahisse à son tour...)
donc les rôles ne sont jamais inversés, on reste clairement dans un esprit patriotique unilatéral, ce qui renforce cette volonté de montrer davantage le devoir du soldat et sa capacité à aller au bout de ses objectifs et promesses patriotiques.
Sur la mise en scène en elle-même, je l'ai trouvé également de très haute qualité. Mention spéciale à George MacKay (soldat Schofield) et Dean-Charles Chapman (soldat Blake) qui sont très convainquant et authentique. Il faut souligner que pour un acteur, travailler en plan séquence est un régal, car il n'y a pas de coupures, ils peuvent donc aller au bout de leur trajectoire émotionnelle, de façon beaucoup plus instinctive et naturelle. C'est plus facile pour eux en termes de technique de jeu... mais du coup beaucoup plus difficile en termes d'endurance, de rythme et de l'utilisation de l'espace filmé. Car la technique rentre en jeu de façon plus importante, et ils doivent aussi s'assurer que leur position, leur déplacement, le rythme de leur réplique colle au déplacement de la caméra steadycam. Un travail qui demande une coordination très précise (beaucoup de répétitions en amont) entre les acteurs et le steadicamer/cadreur.
Quant à la lumière, elle est utilisée de façon artificielle seulement lors des scènes dans les cabanons de commandement dans les tranchées, de façon très contrastée sur les visages pour appuyer la notion de dilemme et de mission de vie ou de mort imposés aux 2 personnages. Également dans le village semi-détruit, qui permet de magnifique contre-jour et démarcation de silhouette avec ces bâtiments en ruines, le coucher de soleil et les lumières des feux environnants. Très belles scènes d'un point de vue photographique. Le reste du temps, toutes les scènes sont filmés en lumière naturelle, ce qui n'est pas pour autant plus facile, car le chef opérateur doit composer avec les aléas de la météo, des passages nuageux etc qui nécessite d'avoir une lumière homogène et constante en permanence entre les scènes, même en plan séquence.
Enfin les effets spéciaux sont aussi utilisés de façon pertinentes, jamais dans l'excès, et toujours justifiés par le fil du scénario pour le coup. Ce qui était extrêmement agréable. La musique de Thomas Newman a également joué un rôle important, j'ai encore en tête cette scène finale
du soldat Schofield courant sur le champ de bataille avec le visuel des bombardements derrière lui et des soldats à l'assaut.
Quelle puissance accordée à l'image grâce à la musique durant cette scène, c'était FOU !
Je ne vois pas comment ce film pourrait se voir échapper l'oscar du meilleur film (et donc de la meilleure production) tellement la logistique et la mise en œuvre d'un tel projet est extrêmement compliqué à tous les niveaux...Je suis plus réservé sur l'oscar de meilleur réalisateur à la vue des concurrents direct mais il n'y a pas de doute que 1917 constitue un très grand film tant dans sa production que sa réalisation et mise en scène. MERCI pour ce moment !