Ce n’est pas un hasard si Dolemite Is My Name est scénarisé par Scott Alexander et Larry Karaszewski, spécialisés dans l’écriture de biopics axés sur des personnages excentriques et marginaux, constamment à la croisée du génie et du mystificateur, dont la passion pour leur art est telle qu’elle occasionne une démesure contaminant tous les niveaux : acteurs survoltés, prouesses esthétiques, scénario foisonnant. Ed Wood (Tim Burton) en constitue certainement la réussite la plus étincelante, tout comme Man on the Moon et Larry Flynt (Miloš Forman). En s’attaquant à l’une des figures les plus importantes de la Blaxploitation, courant culturel afro-américain qui ne bénéficie en France que d’une médiatisation toute relative, les deux scénaristes présentent d’emblée leur protagoniste principal comme un rêveur prêt à tout pour concrétiser son rêve : quémander le DJ pour diffuser ses chansons, obtenir des crédits pour financer ses projets, s’approprier un ancien hôtel devenu repère de drogués et d’alcooliques, mettre à contribution ses amis. Rudy Ray Moore est, comme tous les héros de Scott Alexander et Larry Karaszewski, un héros ambigu, pris entre sa soif de réussir et son absence de génie. Tout part d’un principe très simple : regarder celui ou celle qui a réussi et se dire « pourquoi pas moi ? ». Dans la salle obscure d’un cinéma projetant un Billy Wilder, Moore détourne le regard, se met dos à l’écran pour regarder la source lumineuse chargée d’images que diffuse le projecteur. Un Noir attiré par la lumière. Un Noir soucieux de représenter sa communauté sur grand écran, de filmer la beauté des corps noirs, les spécificités d’un humour volontiers vulgaire. Aussi la démarche a priori individuelle d’un homme rejoint-elle l’aspiration communautaire, fait-elle signe vers le collectif, se charge-t-elle d’une couleur politique essentielle et réinjectée avec une intelligence rare. Car Dolemite Is My Name réussit à revenir aux fondements de la Blaxploitation tout en composant une œuvre divertissante, fort drôle et touchante, une œuvre de cinéma sur le cinéma. Eddie Murphy y trouve un nouvel avatar burlesque qu’il campe à la perfection : après avoir joué un acteur harcelé par des extraterrestres puis remplacé par son frère jumeau – dans le génial Bowfinger –, il trouve un rôle au niveau de son talent, un personnage qui, comme lui, voit les choses en grand, aspire à la célébrité mais souffre, entre autres, de la critique de ses films. À ses côtés, la ravissante Da’Vine Joy Randolph et un Wesley Snipes à contre-emploi des plus désopilants. Dolemite Is My Name bénéficie d’une réalisation élégante qui articule bien fiction et mise en abyme de la fiction – le film dans le film –, rendant ses scènes lisibles, construisant un comique dans la durée et la répétition. Porté par un scénario intelligent, il s’impose comme l’un des meilleurs biopics vus depuis longtemps et offre à la Blaxploitation un hommage à la fois vibrant et touchant.