Ah Funny Face, quel film plaisant.
Ce qui m'a le plus tétanisée, c'est que rien ne semble laissé au hasard. Il fait partie de ces films où l'on aimerait avoir plus de yeux et plusieurs cerveaux pour pouvoir analyser chaque scène qu'on nous sert.
Car si je vois bien où est l'action principale, mon esprit tend à aller vadrouiller dans les recoins de la scène, où il se passe aussi quelque chose, ne serait-ce qu'un objet inerte qu'on a posé là délibérément et pour des raisons bien précises qu'il serait possible d'analyser.
Un des thèmes du scénario est la photo, et bien chaque nouveau tableau en est une. Le charme de la vieillesse du film a contribué à cet effet.
Autant que le chant me laisse de glace, je dois reconnaître que les danses sont merveilleuses. Je trouve ça carrément extra de pouvoir manier et diriger son corps à ce point là ! C'est aussi précis que maladroit, mais quand on sait que la maladresse est elle-même voulue, souhaitée, recherchée, dans une vigueur nonchalante (!), on ne peut que rester ébahis de la prestation.
Ce film est beaucoup plus profond qu'il ne peut sembler l'être : il ne s'agit pas simplement d'une histoire d'amour, il s'agit de la place d'une humaine dans le cosmos. C'est une oeuvre rigolote mais triste, et elle est interessante car elle nous fait nous interroger sur notre propre place. Suis-je vraiment là ou je devrais être ? Qui décide où je devrais être : moi-même, les autres, la société ? Ou bien est-ce juste le destin qui le sait et je dois écouter tous ces indices afin de suivre le sentier qui m'est destiné ?
D'autres questions sont aussi soulevées au début du film par la jeune Audrey Hepburn : comment profiter de chaque jour, comment profiter de l'amour, comment faire ce qui nous plait, mais en étant sérieux en même temps ? Est-il possible de trouver un juste milieu entre la sagesse et la folie ? Ou bien sommes-nous contraints à passer des moments de folie sans se soucier de ce que nous dira notre raison, et d'autres moments totalement dissociés des précédents, ou nous nous laissons vivre, ou nous abandonnons au présent et à nos envies, aussi inconscientes et stupides soient-elles ?
Une réflexion sur la folie aussi, vivre sa vie dans l'empathicalisme, est-ce pouvoir se permettre de danser n'importe comment, faire n'importe quoi devant tout le monde ? Sans se faire juger, tout simplement en sachant que les autres se mettent à notre place ? Est-ce que c'est ça le bonheur ? Est-ce que vivre librement sa vie, sans vouloir séduire selon des règles bien définies, permet d'être plus heureux ? Je ne sais, et rien que l'idée peut faire peur, parce qu'elle se rapproche de l'idée de la solitude. Considérer que tous les autres sont empathiques, qu'ils peuvent être nous, c'est finalement se retrouver seul au monde. Quant à être soi-même un empathique sans limite, n'est-ce pas aimer autant que détester tout le monde ? On se retrouverait sans goût, sans opinion tranchée, sans jugement, sans aucune préférence, sans aucune excitation ni désir , puisque nous sommes tout un chacun et que nous les comprenons tous autant que nous nous comprenons nous-même.
Mais l'empathicalisme a ses limites, et Fred Astaire nous le rappelle dans un échange aussi simple qu'amusant. La compréhension de l'autre, l'empathie ne fonctionne jamais pleinement. Parce qu'on ne peut pas être à sa place et en même temps à la place de l'autre. Et sinon, le monde n'existerait pas.