Le polizziottesco dit « néo-polar italien » ou « polar spaghetti », n’a pas eu une grande diffusion en France dans les années 1970, concurrencé par les films de karaté et érotiques (puis pornographiques) qui marquent les dernières heures des petites salles de quartier. Ce genre cinématographique typique des années de plomb que vit l’Italie contemporaine alors ensanglantée par des attentats meurtriers, marque lui aussi le déclin du cinéma de genre transalpin qui à travers le péplum, le western-spaghetti, les comédies érotiques ou le giallo a connu presque deux décennies de gloire, voyant les vedettes américaines en perte de vitesse se refaire une santé sous le soleil de Rome. Il faudra l’œil très avisé de Quentin Tarentino pour ressortir de l’oubli Fernando di Leo, ancien scénariste reconnu du western spaghetti (les deux premiers épisodes de la trilogie des dollars de Sergio Leone, « Le retour de Ringo » de Ducio Tessari ou « Le temps du massacre » de Lucio Fulci) qui fut l’un des fers de lance du polizziottesco. C’est notamment à travers ce qu’il décrit ni plus ni moins comme une trilogie aussi importante que celle des « Dollars » de Sergio Leone, que Tarantino du haut du statut qui est désormais le sien, intronise Di Leo comme l’un des réalisateurs majeurs du film de genre italien. « Milan Calibre 9 » adapté d’un patchwork de l’œuvre du romancier Giorgio Scerbanenco (lui aussi à réévaluer) est le premier volet de cette trilogie dont on peut comprendre après sa vision pourquoi le père de « Pulp Fiction » lui accorde une telle importance. Violence crue, tronches et accoutrements hauts en couleurs, humour noir distillé à travers des dialogues tout à la fois fleuris et ciselés et enfin bande son collant parfaitement à l’action sont les ingrédients qui font aussi le sel des films du petit génie de Knoxville qui a su y ajouter une magnificence visuelle qui en réhausse encore la valeur. Fernando di Leo avait lui comme références revendiquées, John Huston pour sa truculence et sa formidable lucidité, mais aussi Jean-Pierre Melville, lui-même adepte du film noir américain, dont l’esthétique et la sobriété de la mise en scène l’impressionnaient beaucoup. Dans un Milan sombre, dont il explore les bas quartiers méconnus, très loin de ressembler à la métropole florissante qu’elle était en train de devenir, Di Leo fait de Ugo Piazza, interprété par Gaston Moschin, le point central de « Milan Calibre 9 ». Malfrat sortant de trois ans de prison, Piazza est fermement attendu par ses anciens complices. Il était en effet le dernier maillon d’une transaction de 300.000 dollars qui se sont volatilisés. En pré-générique, cette transaction est exposée de manière virtuose par Di Leo avec un paquet passant de main en main dans tout Milan, jusqu’à ce que le réceptionnaire et bras droit du parrain local, interprété par Mario Adorf, acteur fétiche du réalisateur, découvre furieux le papier journal qui a remplacé les dollars.
Tout le monde pense que Piazza a subtilisé la somme en question y compris sa petite amie (Barbara Bouchet) et la police qui entend profiter de l’occasion pour le faire passer dans le camp de ses indics en échange d’une protection. L’intrigue joue habilement sur les manœuvres de chaque camp devant faire face à un Piazza impassible qui ne fléchit à aucun moment dans l’affirmation de son innocence
. Marmoréen à souhait, Gaston Moschin que Leo a eu la bonne idée de sortir du registre de la comédie dans lequel il était jusqu’alors le plus reconnu, fait indéniablement penser à Lino Ventura interprétant Gus, truand en cavale chez Melville dans « Le deuxième souffle » (1966). Parfaitement équilibré entre action très musclée, retournements de situation ingénieux et suspense calibré, « Milan Calibre 9 » tient le spectateur en haleine jusqu’au bout pour ce qui s’avère être une vraie réussite. Les acteurs tous très impliqués sont parfaits, notamment Mario Adorf en brute sanguinaire joyeusement assumée, Gaston Moschin on l’a dit présentant avec conviction un visage complétement nouveau, Barbara Bouchet dont la sensualité est parfaitement mise en valeur, Philippe Leroy excellent en tueur à gages adepte du code de l’honneur, mais aussi Frank Wolff et Luigi Pistilli, les deux commissaires aux conceptions diamétralement opposées. Incontestablement, le tempérament sans concession de Fernando di Leo ajouté à une audace visuelle innovante et à une maîtrise parfaite de tous les aspects de son métier de réalisateur, expliquent pourquoi Tarantino se reconnaît en ce réalisateur italien un peu trop oublié. Certains pourront s’offusquer du traitement réservé à la gent féminine par Di Leo mais replacer un film dans son époque est une démarche intellectuelle indispensable. De plus, il n’est pas sûr du tout que les mœurs du milieu actuel soient beaucoup plus féministes qu’au temps des années de plomb. Enfin le réalisateur, avec une fin en pied de nez assez jouissive, rappelle la naïveté parfois confondante de ceux qui passant leur temps à mentir et à trahir, pensent qu’ils sont les seuls à pouvoir le faire.