A 83 ans, Ken Loach a conservé son coeur de jeune gauchiste et laissez-moi vous dire, mes gens, qu'il en a encore sous le capot ! Toujours aussi généreux, empathique et clairvoyant voire extra-lucide, avec son scénariste P.Laverty il nous met aux premières loges pour vivre le quotidien d'une famille modèle de braves gens ordinaires, laminés par l'ultralibéralisme numérisé, ou plus précisément par l'ubèrisme déshumanisé. Dans la mégapole Ricky se débat pour surnager dignement, comme sa tendre Abby. Ils sont deux belles personnes qui veulent un mieux pour leurs deux rejetons futés, ils rament mais ils y croient. Malheureusement Ricky cède au chant des sirènes et glisse un doigt dans l'engrenage, en achetant une camionnette pour devenir livreur indépendant, quelque chose comme un auto-entrepreneur. Dès lors c'est la fuite en avant. Le cercle est vicieux et l'implacable démonstration de leur impuissance à tenir le rythme imposé par l'économie virtuelle n'est même pas misérabiliste, elle est simplement réaliste je crois. La tension monte à mesure que les marches se descendent. Entre elles K.Loach place des paliers, comme des respirations où cherche encore à s'épanouir la valeur refuge qu'il met en avant, la famille. Et malgré la révolte de Seb, l'ado créatif à qui on ne la fait pas, malgré la peur de la petite Liza, si craquante, grâce surtout à la puissante douceur d'Abby qui cimente tout, la famille tient. L'amour tient bon mais pour combien de temps, après la fin ouverte que nous propose ce film exemplaire ?... Servie par une brochette d'acteurs (professionnels ou non) tous incroyables de vérité, truffée de scènes ultra justes qui nous font parfois sourire et bien sûr souvent monter en pression, cette tranche de vie est une mise en garde, une de plus, dans le droit fil de celle que lançait Daniel Blake. Elle devrait être diffusée en boucle, toutes les nuits, en message subliminal à tous les gestionnaires, à tous les politiques aux manettes, pendant leur sommeil ! Une fois de plus, total respect à K.Loach, ce seigneur, et à toute son équipe pour cette oeuvre indispensable....