Un film proche du documentaire en raison de son grand réalisme et qui dépeint la vie de la famille Turner vivant à Newcastle upon Tyne : elle risque d’imploser à cause du nouveau mode de travail du père, Ricky, originaire de Manchester. Après avoir perdu son emploi dans le bâtiment, il devient chauffeur-livreur franchisé où il a surtout des devoirs et beaucoup de contraintes vis-à-vis de la société pour laquelle il travaille, PDF (Parcel Delivered Fast). Espérant gagner 155 £ par jour, il a dû vendre la voiture de sa femme Abby, aide à domicile de personnes âgées ou handicapées, pour acheter son fourgon de livraison. Tous les deux font de longues journées de travail (7h30-21h pour Abby), négligeant leurs enfants, Lisa Jane, 11 ans et Sebastian, 16 ans, passionné de tags et de graffitis au détriment du lycée. Le scénario, écrit par le fidèle Paul LAVERTY, complice du réalisateur depuis 1995 (15 films ensemble), est très bien construit et décrit le cercle vicieux dans lequel le chauffeur livreur s’engage, artisan de son propre malheur, le conduisant dans une nasse, sans réel possibilité de retour. Un constat quasi clinique de « l’ubérisation » de certains métiers, renforcé par le talent des acteurs qui savent rendre attachants et émouvants leurs personnages, notamment, la mère (Debbie HONEYWOOD), pleine de compassion et d’empathie pour ses patients (qu’elle traite comme s’il s’agissait de sa propre mère) et qui révèle à la fois sa faiblesse et toute sa force lors de la scène particulièrement émouvante de l’hôpital. Le vrai talent de Ken LOACH est de mettre le doigt sur les points faibles de notre société, la privatisation des chemins de fer britanniques [« The navigators » (2001)], la mise à l’écart des chômeurs [« Moi, Daniel Blake » (2016)] ou ici, la création d’un lumpenprolétariat qui accepte d’être son propre bourreau.