Edifiant mais confus
Thierry de Peretti décide enfin à quitter sa Corse natale où il avait tourné ses précédents films, - au point qu’en plaisantant, il indique que cette « enquête » est son 1er film français -, pour plonger dans les arcanes de la lutte contre le trafic de drogue, ses infiltrés et celles du journalisme d’investigation. 123 minutes sous tension mais hélas souvent très confuses. Octobre 2015. Les douanes françaises saisissent sept tonnes de cannabis en plein cœur de la capitale. Le jour même, un ancien infiltré des stups, Hubert Antoine, contacte Stéphane Vilner, jeune journaliste à Libération. Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par Jacques Billard, un haut gradé de la police française. D’abord méfiant, Stéphane finit par plonger dans une enquête qui le mènera jusqu'aux recoins les plus sombres de la République. On discute souvent sur ce blog de la forme et du fond. Ici encore, le fond est passionnant, crucial, révoltant, mais il est gâché par un récit trop confus et elliptique. Dommage, car il y avait du grain à moudre.
Ce thriller politique refuse tout spectaculaire pour se concentrer sur des faits, des agissements de l’ombre des trafiquants, des indics, des politiques, des flics… et il est bien difficile pour la presse - et le spectateur - de sortir de ce marigot. Ce film-dossier retrace l’affaire François Thierry, du nom du patron de l’Ocrtis, - Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants -, soupçonné d’avoir favorisé l’importation de quantités importantes de cannabis et d’être en lien avec Sofiane Hambli, un des plus importants trafiquants de drogue en Europe. On nous prévient d’emblée à l’écran qu’il s’agit d’une fiction, mais on sent que, même si tout a été soigneusement pesé, les faits retracés sont d’un réalisme inouï, et que seuls les noms des protagonistes ont été changés. Pour ajouter au réalisme, les conférences de rédaction ont été tournées dans les locaux mêmes de Libé. Des questions cruciales sont posées : A quoi ressemble la lutte contre le trafic de drogue aujourd’hui ? Quels en sont les acteurs et les outils, les stratégies et les doctrines ? Quelles sont les modalités de la consommation ? Qu’est-ce que cela implique d’un point de vue politique, économique et philosophique ? Et comme la drogue, c’est le capitalisme ultime, peut-on endiguer son trafic ou est-on réduit à ne faire que du renseignement ? La guerre contre la drogue est-elle une guerre perdue ? Le problème, c’est qu’on ne comprend pas bien où le scénario veut en venir, d’autant qu’il évite soigneusement d’avancer une réponse quelconque. Un beau film mais frustrant.
Le trio Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon, est évidemment au top. Mais comment pourrait-il en être autrement. Leurs personnages troubles et ambivalents naviguent à vue d’un bout à l’autre du film… et nous avec. Quant aux actrices, Julie Moulier, Lucie Gallo, Marilyne Canto et même Valéria Bruni-Tedeschi, le moins qu’on puisse c’est qu’elles jouent les utilités. Le choix de filmer en format 1.33 - qui donne une image pratiquement carrée -, ajoute à l’étouffement qu’on ressent, en particulier dans les scènes – trop nombreuses, trop sombres et trop bruyantes à mon goût -, de soirées en boîte ou en appartement privé. En vérité, il y a plusieurs films en un, et comme on ne sait jamais où on se situe, ça crée ce malaise que j’ai ressenti quasiment d’un bout à l’autre de ce thriller politique très édifiant et qui dégage un doute troublant sur le cœur même de cette enquête. Dostoïevski n’est pas loin.