En proposant « Enquête sur un scandale d’Etat » (je n’aime pas du tout ce titre « bateau » sans imagination !) Thierry de Peretti est animé des meilleures intentions. Et d’ailleurs dans la forme il réussi un film très rythmé, pourtant un tout petit peu trop long (c’est visiblement la mode de faire long pour faire long), dont l’habillage musical est très réussi, à base de musique électronique bien utilisée, bien calée sur les images. Il a malgré tout deux manies un peu surprenantes, la première est de faire des transitions très « old school » (fondus-enchainés, écrans noirs qui dure au-delà des premiers dialogues) et la seconde de proposer un film sur grand écran en imposant deux immenses bandes noires de chaque côté. En somme, il se prive, et il nous prive, d’au moins un tiers de l’écran pour proposer un film qui parait dimensionné pour les vieux écrans de télévision carrés. C’est probablement voulu, mais j’avoue ne pas bien comprendre pourquoi. Si on excepte ces deux choix artistiques un peu curieux, et une durée un tout petit peu trop longue (certaines scènes, comme celle de la pêche, paraissent quand même assez superflues ou en tout cas trop étirées), le film tient la route. Il faut dire qu’il s’est offert un très beau casting avec trois supers acteurs. Pio Marmaï en journaliste pugnace (et évidemment un petit peu ambitieux, c’est de bonne guerre), Vincent Lindon en patron des Stups inclassable et surtout Rosdhy Zem en infiltré parfaitement insaisissable.
Son personnage, en deux heures de film, je n’ai pas réussi à déterminer de quel bois il est fait : est-ce que ce qu’il raconte est vrai ou alors verse-t-il dans la mythomanie, enivré de l’importance que lui donne le journaliste ? Franchement, par moment on le croit et par moment on se dit qu’il mène tout le monde en bateau en inventant des révélations toujours plus grosses. Zem devait composer un type fuyant comme une anguille ? C’est indéniablement le cas. Je souligne aussi la performance de Vincent Lindon dans les scènes de tribunal à la fin du film, très convaincant, tellement qu’on lui donnerait le Bon Dieu sans confession alors que ça fait deux heures que le film raconte des horreurs sur son personnage.
Quant on pense « film de journaliste », on pense à « Spotlight » ou aux « Homme du Président ». Dans ces deux cas-là, on comprenait bien les enjeux, le Bien et le Mal étaient faciles à appréhender. Ici, le scénario a beau faire de son mieux, tout est beaucoup plus compliqué et plus flou. C’est le principal défaut de fond au film de Thierry de Peretti, si on arrive dans la salle comme un néophyte, on va quand même un peu galérer pour tout comprendre d’une enquête protéiforme qui va bien au-delà de la drogue. En réalité, je vais l’avouer, « Enquête sur un Scandale d’Etat » est parfois tout près de nous perdre en route. Pourquoi les Stups organiserait-il le trafic eux même :
pour faire du chiffre et soigner leur statistiques ? Pour casser les filières en « aspirant » la marchandise ? Pour court-circuiter les Douanes dans une guerre entre services ?
Ce n’est pas très clair, malgré les efforts du personnage de Jacques Billiard pour l’expliquer. En réalité, la question que le film souligne est plus simple que toutes les arcanes de la lutte contre le trafic de drogue que le scénario essaie de mettre à jour sans trop y parvenir. La question c’est : pour lutter contre ce trafic, doit-on obligatoirement se salir les mains ? Et si oui, jusqu’où peut aller un Etat de droit dans sa guerre contre la drogue ? Au final, c’est bien cela que l’article de Libération soulevait, c’est une question de morale : la morale comme ennemi de l’efficacité ou impératif sans concession. Mais pour poser cette question simple, essentielle même, le film se perd un peu dans les méandres des révélations nébuleuses d’un infiltré à qui on a du mal à faire confiance. Du coup, on perd un peu de vue la problématique et c’est dommage. J’ai bien conscience qu’être clair sur un sujet aussi complexe est difficile, et j’ai bien conscience aussi que le film ne peut apporter une réponse simple à un problème aussi compliqué. La limite entre ce qui est acceptable et inacceptable dans les méthodes des Stups est plus que floue, elle est mouvante et ce n’est pas nous, spectateur totalement extérieur à la question, qui pouvons déterminer de quel côté de la ligne rouge la Police française se situe. Que reste-il au final du film de Thierry de Peretti ? Une vraie question de fond, essentielle et morale, mais un film difficile à lire, qui est parfois à deux doigts de nous perdre en route. A vouloir traiter un sujet aussi délicat et sensible, à vouloir peut-être trop bien faire, il apparait parfois brouillon, dispersé et confus. Les très belles performances de Lindon, Marmaï et Zem ne parviennent pas à dissiper l’impression de confusion et d’inachèvement qui restent une fois la séance terminée.