La lumière de la ville est orange, comme encore sous le feu des conflits intestinaux qui la gangrènent autant qu’ils creusent sur son visage des sillons dans lesquelles s’enfouissent amitiés et âpretés, enfance heureuse et présent plus douloureux. Le visage de Roubaix est double : c’est la frénésie d’un quotidien marqué par l’insécurité et la violence, c’est la tranquillité qu’affirme le commissaire Daoud, refusant de céder à la colère, à la panique, au désespoir. Ainsi, Arnaud Desplechin intériorise le feu d’une ville, le loge au plus profond de ce corps massif qui déambule avec la légèreté d’un esprit supérieur : il rentre partout, connaît tout le monde, réussit à mêler autorité et sympathie, si bien que sa fonction républicaine se double d’une fonction plus religieuse, quasi mystique, celle qui consiste à ramener les êtres déboussolés dans le droit chemin, le chemin d’une vérité qui n’est pas innée mais qui résulte d’une construction avant tout individuelle à partir d’un conflit, d’un corps-à-corps entre la vie et la loi. Voir Daoud ouvrir le Code Pénal et en présenter un article au fraudeur, c’est assister à une scène de jugement entre un prêtre indiquant à son fils pécheur le verset à lire pour comprendre son erreur et mieux se comporter par la suite. Le poste de police est une église qui accueille les égarés, une école qui éduque les populations, une institution républicaine qui réunit sous le drapeau français différentes origines, différentes cultures, différentes langues. Voilà pourquoi la ville la plus pauvre de France devient le conservatoire d’une lumière : il n’y a que par l’erreur en jugement et en acte que l’individu éprouve la loi, s’éprouve lui-même, prend conscience de ses limites et de ses zones d’ombre. Entre deux prières adressées à Dieu, Louis avoue supporter difficilement la misère environnante, ce à quoi le commissaire répond que la misère importe peu, qu’elle ne doit pas être le centre des préoccupations. Car là où se trouve la misère se décuplent les perspectives de rachat de l’homme, et donc de Salut. En choisissant la lumière pour aborder la détresse, Arnaud Desplechin donne naissance à une œuvre irradieuse qui laisse pénétrer ses rayons d’art et d’espoir dans les maisons de brique rouge aux portes habituellement closes, dans les cœurs et les âmes de celles et ceux qui vont et viennent, qui attisent ce feu central dont la fumée s’élève, comme un encens, vers le ciel.