Comme Desplechin, je suis un chti du pays minier puisque né à Douai, à une bonne trentaine de bornes de Roubaix. Je vis depuis longtemps en Dordogne mais le message d'entrée de film en voix off, qui dresse le constat d'une décrépitude urbaine (liée à l'exode des industries, qu'elles soient textile, minière ou sidérurgique à la fin des trente glorieuses) m'a bien sûr d'emblée interpellé, même si Douai est peut-être moins "à la ramasse" que Roubaix, pour autant que j'aie pu le constater quand je retourne vers mes racines, de loin en loin... C'est dire si j'étais prêt à entrer dans le propos pour le moins misérabiliste du film. A la fin de celui-ci subsiste pourtant pour moi un mystère : pourquoi ce titre ? La lumière, est-ce cette dose d'humanité sobrement compassionnelle, instillée par le personnage du commissaire (R.Zem, remarquable) et son équipe exemplaire ? Je suppose, je ne vois guère que ça. Mais qu'il est long, qu'il est sombre le tunnel au bout duquel cette lumière peine à luire un peu ! Hormis les quelques parenthèses d'oxygène, volées dans le sillage des chevaux de course qui fascinent le commissaire, l'objectif ne cadre que des courées sordides, des zones de banlieue crades, ou les intérieurs délabrés d'un commissariat sous doté. Difficile de s'y rincer l'oeil avec plaisir, même s'il faut saluer le travail sur les lumières nocturnes ou les éclairages. Quant aux personnalités des deux jeunes femmes "cassoces" sur lesquelles le scénario focalise de plus en plus, à mesure qu'avance l'enquête sur un crime sordide, elles ne sont pas là pour nous rasséréner ! Camper avec crédibilité (mais sans accent chti) ces deux paumées, c'est d'ailleurs un défi que réussissent fort bien Léa Seydoux et Sarah Forestier, qui font froid dans le dos autant qu'elles suscitent la pitié... Amertume et noirceur du propos donc, de quoi faire vaciller la foi des cathos les plus convaincus, comme semble vouloir le suggérer Desplechin en filmant la prière du soir laborieuse d'un jeune lieutenant, le petit nouveau du commissariat... La compassion du commissaire, sa faculté à comprendre et même à faire du bien, c'est avec la jeune fugueuse d'une enquête accessoire, contre-point de l'enquête principale, qu'elle est le mieux mise en valeur, je crois. Une autre petite, toute petite tache de lumière, peut-être ?
Le film s'arrête sur un stop en pleine action, magnifique plan fixe flouté par la vitesse, au départ des starting-blocks à l'hippodrome de Roubaix, quand le commissaire vient voir courir le pur-sang qu'il rêve d'acheter. On imagine bien la réplique qu’un acteur de la trempe de R.Zem pourrait voler à Shakespeare, pour dire l'urgence à s'échapper du cloaque où il lui faudra retourner en immersion : "Mon royaume pour un cheval !". C'est très peu mais c'est très beau, et si le mystère persiste au sortir de ce film contemplatif, sensible et poignant, si donc il faut chercher la lumière, ce dernier plan nous encourage à le faire au sortir de la salle obscure, à l'espérer encore, obstinément. Ne serait-ce que pour ce dernier flash, bravo !