Arnaud Desplechin sait y faire pour vendre du rêve ! Rien que le titre, déjà… Si on lui ajoute la bande annonce, le pitch et l’affiche, il faut quand même se faire violence un peu pour aller mettre son nez dans ce polar ; sur le papier, il ne fait pas tout envie ! Long de 2h, le film semble s’étirer éternellement, au point qu’on a l’impression qu’il dure bien une heure de plus. Desplechin, dont je ne suis pas une grande habituée, aime filmer en gros plan, aime faire durer ses scènes, jouer avec les silences et les plans fixes, étirer aussi les dialogues en longueur. C’est probablement une volonté de faire un cinéma proche de la réalité, de mettre en valeur ses personnages et le jeu des acteurs. Je peux comprendre, n’empêche que son film, qui met un temps fou à démarrer (c’est un polar sans crime pendant au moins 40 minutes), nous fait dangereusement flirter avec l’ennui. La musique discrète, la photographie volontairement froide (il y a si peu de couleurs dans ce film), le nombre très restreint de scènes de jour et de scènes en extérieur, tout concourent à cette ambiance triste. Si le but est de faire passer l’idée d’une ville nordiste en pleine déserrance, où la misère sociale engendre la misère intellectuelle qui elle-même engendre la délinquance, félicitation à lui c’est parfaitement réussi. Mais pour le spectateur c’est plombant, c’est long et même si le film peut par moment fonctionner comme un documentaire, surtout au début, ça ne peut pas suffire à happer le spectateur sur la durée. Pour une raison que j’ignore, si ce n’est pour coller encore plus à cette idée du pseudo-documentaire, le scénario multiplie les intrigues annexes et les digressions, certaines passionnantes qui auraient mérité plus d’éclairage (le violeur en série), d’autres plus anecdotiques (le neveu du commissaire), d’autres à la limite du « sans intérêt » (les chevaux). C’est une démarche un peu étrange, frustrante au possible et qui donne l’impression d’un film qui s’éparpille en permanence, qui essaie de nous dire des choses par bribes allusives sans nous donner ni les codes pour les comprendre, ni les clefs pour les analyser. Ce qui fonctionne dans le scénario, et c’est même sa grande réussite (avec le casting, j’y reviendrai), c’est cette longue double garde à vue, ces interrogatoires croisés, ces reconstitutions sauvages pour faire accoucher la vérité. Je choisi ce verbe à dessein car c’est long et douloureux comme un accouchement. Les questions sont répétées inlassablement, les suspectes esquivent, répondent à côté, marquent des longs silences. Elles se contredisent, elles lâchent des bribes puis se rétractent, se défaussent, pleurent, craque sans craquer, c’est long, et c’est douloureux comme quand on perce et que l’on vide un abcès. Les gardes à vue, au cinéma, sont souvent expéditives, ici elle est filmée dans sa longueur, mettant en scène le travail psychologique des enquêteurs et (je ne sais pas à quel point c’est crédible aujourd’hui) en l’absence total du moindre avocat ! Avoir choisi un fait divers réel, banal et sordide ajoute au pathétique de la situation. Ici il n’est pas question de tueur en série et de mobiles fumeux, ici, on tue une vieille dame de 80 ans
pour voler des bricoles sans valeurs,
et sans vraiment se rendre compte de la gravité du geste. Dans « Roubaix, une lumière », pas de flic tourmentés et mal rasés, pas de tueurs machiavéliques, pas de mobiles tordus à deviner, pas de rebondissement de dernière minute, pas de trafic et de délinquance organisée, du banal, du sordide, du crapuleux, c’est tout ! Finalement, c’est le casting qui emporte la mise, car Desplechin a eu la main heureuse : Roschdy Zem est parfait, humain mais ferme sur ses principes, zen mais pas blasé. Antoine Reinartz a moins de chance avec le rôle d’un lieutenant débutant, qui parle comme un livre, sourit beaucoup trop, et qui prie Dieu de lui donner la force de bien faire son métier. Il a du mal à être crédible, Antoine Reinartz, quand il veut incarner la sollicitude on le trouve bêtement souriant et quand il veut incarner l’autorité, on n’y croit pas vraiment. Les deux filles, quant à elles, sont incarnées par Léa Seydoux, dont je ne suis pas hyper fan mais qui fait le job, et l’épatante Sara Forestier. Cette dernière, enlaidie, incarnant une jeune femme visiblement limitée intellectuellement, est bluffante et même émouvante. Contrairement au personnage de Léa Seydoux, on a l’impression qu’elle est surtout une victime, victime des circonstances, victime de sa propre personnalité, victime de son passé, victime de ses sentiments. C’est l’interprétation qui donne cette impression, et Sara Forestier sait incarner ce genre de personnage, elle l’avait déjà fait (« La tête Haute »), j’espère juste qu’elle ne va pas s’abonner à ce genre de rôle, ce serait dommage. En résume « Roubaix, une lumière » est un polar proche du documentaire, un peu trop long, un peu plombant, un peu frustrant aussi mais qui offre des performances d’acteurs remarquables.