Desplechin réalise plus une chronique sociale qu'un véritable polar. Au commencement, la ville de Roubaix engluée dans sa crise économique post industrie-textile tient lieu de premier personnage, puis ses pavés, son climat humide, ses cours ouvrières, ses boulangers africains régulièrement braqués, ses petites frappes des quartiers, les voitures qui brûlent, les violeurs etc ... s’effacent progressivement au profit des protagonistes de ce film : deux filles paumées soupçonnées du meurtre d’une vieille femme, accessoirement leur voisine, et deux policiers, l’un fraîchement débarqué et le second, commissaire du cru, incarné - au sens propre - par un Roschdy Zem, commissaire en lévitation, formidable acteur, surfant sur cette vague misérabiliste qui ne cesse de déferler, qui s’en accommode en passant entre les gouttes à la manière d’un vieux sage qui persiste à voir de la lumière dans chaque humain et dans cette ville qui l’a accueilli à l’age de 7 ans et à laquelle il s’accroche, sans qu’on sache vraiment pourquoi, seul (toute sa famille est retournée au bled) et insomniaque.
Qu'importe l’intrigue, assez mince d’ailleurs... laquelle des deux filles a tué la vieille dame? Le meurtre était-il prémédité? Quel est le mobile? Les policiers parviendront-ils à démêler le vrai du faux? Le sujet du film, ce n’est même pas de dire que la violence résulte de la situation sociale sordide, ni d’excuser tel ou tel comportement déviant par le déterminisme d’une population déclassée et inadaptée, même si le réalisateur nous montre que Claude, campée par Léa Seydoux est une jeune mère dont le fils de 6 ans est en foyer, le voyant en alternance, et que les deux jeunes femmes passent leur temps à boire et à fumer, en compagnie de deux chiens qu’affectionnent les caïds des cités. On comprend que l’espoir est vain et que ni leur couple ni leur progéniture ne s’en sortiront.
Le vrai propos, c’est qu’en toute personne réside un être humain, qu’importe son histoire, quelques soient ses actes, aussi irréfléchis, aussi stupides, aussi vils soient-ils. Et le commissaire, et son adjoint, dans une moindre mesure et pour des raisons différentes d’ailleurs (on comprend qu’il est chrétien croyant), ne jugent pas, ne cherchent même pas à comprendre le fondement et la motivation du crime, à savoir un vol dérisoire, l’histoire presque banale d’une ‘’petite’’ victime et d’encore plus ‘’petits’’ coupables qui vivaient dans une même cour. Le commissaire, bienveillant, peut-être trop charitable pour être crédible, ne se départit jamais de son calme, même dans les interrogatoires où ses subordonnées invectivent et crient après les suspectes, il travaille pour elles, pour une forme d’apaisement qui mènera à leur pardon, il tente ainsi de les sauver, tout en étant persuadé de leur culpabilité, prêtre rédempteur qui accompagne le coupable vers son destin, sur l’échafaud. D’ailleurs Claude lors d’un interrogatoire contradictoire avec Marie (Sara Forestier) craint la guillotine si elle avoue la préméditation.
Le film est porté par un trio d’acteurs exceptionnel, avec Roschdy Zem magistral, qui est parvenu à cette maturité de jeu, tout en regards, postures, intonations, propre aux grands interprètes, peut-être désormais un peu trop cantonné dans ce type de rôle, mais qui convient bien à sa haute stature et à sa gueule de type qui en a vu. Sara Forestier, pose une Marie tout en justesse, égarée dans sa vie, amoureuse de Claude qui mène le couple, influençable, probablement inculte, apeurée et hallucinée. Elle est particulièrement crédible tandis que Léa Seydoux qui elle aussi interprète son personnage avec talent, a peut-être était ‘’sous-traitée’’ par Desplechin qui la fait paraître trop intelligente, maligne, et pas suffisamment éloignée de son image glamour pour nous faire croire qu’elle est une fille ayant souffert dans sa vie.