Un film très ambigu.... qui peut être vu/lu de différentes façons.
Arnaud Desplechin nous embarque dans une promenade touristique de la belle ville de Roubaix (la sienne, celle où il est né). On préférerait, à vrai dire, visiter un zoo: il y a plus de verdure..... et surtout, les animaux qu'il abrite ont plus d'humanité. Brutes dégénérées, délinquants rigolards narguant la police, mémères enfoulardées protégeant leur fils dealer..... Oh là là! Quel tableau à la Soulages, mais sans la lumière, brossé ici par le metteur en scène...
Au milieu de cela, deux représentants de l'ordre. Le commissaire, Daoud, est le seul membre de sa famille à être resté à Roubaix (non: il lui reste un neveu, incarcéré, et qui le déteste). Les autres sont retournés "au bled". Il est très seul, mais il aime les chevaux de course et nourrit les chats libres du quartier. Louis, le lieutenant, commence sa carrière. Catholique en proie au doute, toute cette violence est pour lui d'une brutalité insupportable. Antoine Reinartz, bizarrement absent des affiches.... est excellent, et son personnage est intéressant. On n'en dira pas autant de Roschdy Zem -pourtant en général un merveilleux acteur, mais qui, ici, est dépassé par son personnage. C'est que Daoud est un humaniste qui ne se met jamais en colère. Parfaitement calme, humain, empathique devant la pire crapule, Il sonde sans jamais se tromper l'âme de celui qu'il interroge, il arbore perpétuellement un sourire ineffable (on croirait voir Juliette Binoche...) et franchement, il n'est pas crédible un instant.
On se croirait dans un documentaire -et de fait le film a été inspiré par un documentaire, autour d'un fait divers sordide, que j'aimerais d'ailleurs beaucoup voir. Une pauvre nonagénaire a été étranglée et étouffée, pour trois sous, par deux de ses voisines de courée, un couple de paumées droguées qui se murgent à la bière. Claude (Lea Seydoux) a des restes de beauté. Elle a un fils dont la garde lui a été, bien entendu, enlevée, mais auquel elle tient beaucoup. Marie (Sara Forestier) c'est la moche, pleine de tics.... et dès le début, elles vont se charger mutuellement (tiens? on croyait qu'elles étaient amoureuses?) Plus exactement, Claude va charger Marie, acculée devant la vérité; finalement, Marie dira que oui, c'est bien elle qui a pris l'initiative, qui a serré la gorge de la pauvre vieille la première.... le spectateur a surtout l'impression qu'elle a cédé devant la forte personnalité de Claude! Elles reconstituent la scène, sans émotion. Et c'est là que les lectures divergent; Le critique de Télérama, qui apparemment a fumé la moquette, trouve aux deux filles "toutes les excuses sociales.... du fond de leur obscurité, elles deviennent nos soeurs, nos filles, nos doubles". Oh tabernacle! Si je vous dis que ce n'est pas du tout mon regard, ça ne vous étonnera pas.
Reste un magnifique film noir "de commissariat", car Desplechin est un sacré filmeur, qui vous tient en haleine; il y a une tension au cours de l'interrogatoire -séparé, puis une confrontation où, grosso modo, Marie attend de Claude qu'elle lui dise quoi dire- qu'on n'avait rarement retrouvée depuis Garde à vue.
La dernière image s'arrête sur un départ de course de plat où Daoud a entraîné Louis, image que personnellement je trouve aussi ambigue que le reste du film: car rien n'est moins une image de liberté qu'un cheval de course......