Le film s'ouvre sur des lumières de Noël qui scintillent sur des capots de voiture, et une musique classique qui ne quittera plus vraiment le récit, emporte le spectateur dans les nuits et journées d'un commissariat de Roubaix, en pleine période de fêtes. Cette entrée en matière annonce déjà le point de vue que ce film-là n'est pas un polar comme les autres. "Roubaix, une lumière" n'est pas une succession des histoires ordinaires et malheureuses des policiers. C'est l'état d'une ville Roubaix, sinistrée par la désindustrialisation, et ravagée par une pauvreté endémique et des tensions sociales entre communautés. Desplechin montre, il ne dénonce pas. Mais il va au-delà de la monstration, le brillant cinéaste déroule, comme à chaque fois dans sa filmographie, un roman social et personnel de son propre rapport à sa ville d'origine. Il tient à une écriture quasi romanesque, qui élève ses personnages, même les plus sordides, à une forme de beauté intemporelle.
Avec ce "Roubaix, lumière", Arnaud Desplechin signe un nouveau chef d'œuvre, à la puissance évocatrice aussi importante que "Comment je me suis disputé ou ma vie sexuelle", "Un Conte de Noël" ou "La vie des morts". La perfection n'est pas loin. Il s'agit d'un cinéma mature, ancré dans la réalité tragique de ces gens, les roubaisiens, baignés de la lumière factice de Noël. La ville est au bord de la faillite, comme l'écrit un des nouveaux lieutenants de police. Au départ, face à l'écorchure des visages, on craint la caricature, l'exagération. En vérité, autant Léa Seydoux, Sara Forestier qu' Antoine Reinartz donnent chair à des personnages détruits par leurs conditions sociales et familiales, ou bien, s'agissant du policier, contraintes à un exil personnel. La magie des mots, la volupté des sons créent du Beau là où tout pourrait se réduire à la mort ou du désespoir.
On ne peut pas parler de ce film sans saluer l'interprétation gigantesque de Roschdy Zem. Il s'agit sans doute d'un des grands rôles de sa vie. Il y a dans son jeu la noblesse qu'on lui trouvait chez Téchiné. Il y a aussi l'écho sans doute très personnel dans son jeu du poids des racines migratoires qui continuent de hanter les générations nées de parents étrangers. Il y a dans sa présence qui rend hommage aux roubaisiens, aux immigrés, et à un corps de métier, la police, dont on comprend soudain combien la défaillance n'est jamais loin dans l'exercice de ce métier.
Chapeau bas Monsieur Desplechin !