Étrange et surprenant. Il y a beaucoup d'audace et de maîtrise dans ce premier long-métrage. Carlo Mirabella-Davis, réalisateur et scénariste, s'aventure dans des zones complexes de la psyché, rarement exposées ainsi au cinéma. En focalisant sur un trouble obsessionnel compulsif, le Pica, caractérisé par l'ingestion d'objets, il donne à voir une histoire très "inconfortable", mais très intéressante et très forte. Une matière riche qui ouvre le champ à de nombreuses réflexions, d'abord psychologiques et psychanalytiques, sur la dépression, le vide existentiel (que l'héroïne comble à sa façon), la culpabilisation et la compensation, les notions de liberté et de contrôle. Et ensuite, sociologiques, autour d'un certain modèle social qui perdure de génération en génération : modèle bourgeois patriarcal, pour ne pas dire machiste, cadre standardisé et déshumanisé ; une classe sociale présentée comme une machine à broyer ceux qui n'en deviennent pas des rouages bien huilés. Avec en prime une illustration de la fameuse "sauvagerie des honnêtes gens", pour reprendre une expression du film Le Septième Juré, de Georges Lautner. Carlo Mirabella-Davis développe ces thématiques avec une ironie cruelle, pas exempte de traits appuyés voire caricaturaux (dans les portraits du mari et des beaux-parents) mais décapante. Côté style, c'est du beau travail, entre épure aseptisée, ambiance rétro-pop triste, et une tendance très "incarnée", qui n'a pas peur de sonder les chairs, les textures, en gros plans. Côté interprétation, c'est une révélation. Haley Bennett, dans un rôle éprouvant de femme chosifiée et humiliée, est sidérante. Elle donne à l'histoire de son personnage, histoire douloureuse et magnifique d'une libération, une vibration et une lumière uniques.