Le cinéma est un outil de propagande à grande échelle, on ne le dira jamais assez. Les Américains l’ont compris mieux que personne, eux qui ont produit des centaines de films anticommunistes tout au long de la guerre froide, et plus largement antirusses depuis la chute du mur de Berlin. On pense à Invasion USA, au Rideau déchiré et à L’Étau d’Hitchcock, au film À la poursuite d’Octobre rouge, à Die Hard, à la saga Rambo, à Rocky IV, à Indiana Jones IV…
Même les Britanniques se sont prêtés à ce jeu avec les films de James Bond (Bons Baisers de Russie, GoldenEye, etc.).
Une manière de rappeler aux Occidentaux que l’OTAN veille à la sécurité de tous face à la menace de l’Est.
Si la manœuvre avait quelque efficacité dans la seconde moitié du XXe siècle, elle en est presque devenue comique tant elle est transparente de nos jours. Le discours véhiculé de manière sous-jacente est désormais le suivant : les communistes ont certes perdu la partie, mais qui sait si le diable Poutine, ancien patron du KGB, n’envisage pas un jour de faire main basse sur le reste du monde… Tout est bon pour nous rappeler que la Russie aurait de tout temps représenté une menace.
Sorti le 23 juin, Un espion ordinaire s’inscrit parfaitement dans cette vague antirusse. Le film de Dominic Cooke revient sur la douloureuse expérience de Greville Wynne, un simple représentant de commerce britannique recruté à la fois par le MI6 et par la CIA pour faire fuiter de Moscou des documents confidentiels fournis par le colonel Penkovsky. Nous sommes alors en 1962 et les tensions s’accroissent entre les deux vainqueurs de 1945, à tel point que certains redoutent un conflit nucléaire…
Un espion ordinaire se présente comme un film d’espionnage des plus classiques. Moins inspiré, cependant, que La Taupe, véritable chef-d’œuvre du genre, la progression de son récit ressemble beaucoup à L’Affaire Farewell, de Christian Carion, sans jamais vraiment l’égaler en termes d’écriture, ni dans sa mise en scène.
Plus grave, Dominic Cooke va jusqu’à sacrifier au lyrisme la vérité historique en nous vendant d’un bout à l’autre de l’intrigue le fantasme d’un risque d’attaque nucléaire par les Russes. Il oublie que les Américains, à cette époque, étaient largement en avance dans ce type d’armement ; que les Russes le savaient et ne parvenaient pas à faire décoller leur production de missiles ; et que le Pentagone, en revanche, étudiait sérieusement, à la demande de Kennedy, la possibilité d’une attaque nucléaire préventive sur l’Union soviétique… Du bout des lèvres, le cinéaste concède à la fin du récit, à travers l’un des personnages, que la décision de Khrouchtchev de placer des missiles à Cuba répondait à la provocation des Américains qui avaient installé les leurs en Turquie en direction de la Russie ; Khrouchtchev se sentant directement menacé par les missiles de Kennedy, il se devait de répliquer.
À plusieurs reprises dans son récit, le cinéaste affirme que le dirigeant russe est un « déséquilibré » – ce qu’il n’était assurément pas – et un va-t-en-guerre. Il oublie, là encore, que si Khrouchtchev s’est brouillé avec les communistes chinois, c’est précisément parce que ceux-ci menaçaient de prendre Taïwan et de déclencher ainsi les foudres des Américains à une période où le président russe préconisait l’apaisement avec les États-Unis. Après les bombardements chinois sur les îles du détroit de Taïwan en 1958, Khrouchtchev, désirant éviter l’incident diplomatique avec Eisenhower, renonça à aider la Chine à se procurer des armes nucléaires.
Plutôt judicieux, de la part d’un « déséquilibré » et d’un va-t-en-guerre…
Le cinéaste ne connaît pas son dossier.