Film mythique de Michael Curtiz, qui met en images une histoire romantique sur fond de seconde guerre mondiale, de nazisme, de fuite vers les USA, et de Résistance. Amour et Guerre, donc, en tags principaux : d'abord amour parce que guerre, puisque les deux êtres en question se rencontrent en pleine guerre, à Paris, et que cette guerre est directement la cause de la rencontre, puisqu'on apprend que Ilsa (Ingrid Bergman) était mariée au Résistant alors emprisonné Victor Laszlo (Paul Henreid), tout en laissant dans l'ignorance son amant, Richard, plus tard Rick (Humphrey Bogart), de ce mari secret. Ensuite amour ruiné par la guerre, puisque Paris est occupé, et alors que Rick et Ilsa se promettent de fuir ensemble pour Marseille, et bien lapin ! si l'on peut dire, puisqu'Ilsa ne se présente pas à la gare, et laisse un message d'adieu à Rick. Amour perdu par la guerre, donc. Mais - troisième moment complètement dialectique, on le voit - amour retrouvé par la guerre ou grâce aux événements hasardeux et accidentels de la guerre, puisque tous les personnages se retrouvent à Casablanca, qui se veut la dernière étape pour fuir le vieux continent, direction USA. Cela dit : cette exposition est évidemment une reproduction, une synthèse, une explication qui ne traduit pas la chronologie du film. Autrement dit, et c'est un point fort du film, tout de même, la chronologie du film est elle-même brisée, montée sur le mode du flash-back, à partir de l'action (du "présent") qui se déroule à Casablanca. Toute cette dialectique de l'amour et de la guerre se révèle donc non pas d'une manière un peu bêbête et linéaire, mais de manière complexe, tortueuse, par à-coups, par brusques retours en arrière, à partir d'un événement principal, élément déclencheur, cad la rencontre de Rick et d'Ilsa, à Casablanca, dans le bar de Rick. Bon c'est quand même original (enfin je trouve) : une sorte de coup de foudre à rebours, ou de second coup de foudre, un coup de foudre à retardement, alors que les deux amants pensaient ne plus jamais se voir...
Enfin le film est engagé, comme l'on dit, c'est évident (il n'y a qu'à voir la date du film et sa sortie pendant la guerre et surtout au moment où tout commence à basculer, le parti pris de la Résistance, de la France libre contre les nazis...). Le souci du film, peut-être, sûrement, c'est la prise de position extra-pro-américaine, qui se dessine comme un horizon permanent d'espoir, de bonheur et de liberté (ce qui, je ne le nie pas, l'était à l'époque). Je dis horizon, parce que précisément l'Amérique n'est jamais vue, jamais montrée : mais elle est d'autant plus présente qu'elle est invisible, cachée. Bonne dose d'engagement donc avec notamment le double retournement du capitaine de police Louis Renault (Claude Rains), en faveur de la liberté, plutôt que du nazisme, et un peu moins final de Rick, qui retrouve le goût de l'action en même temps que l'amour. C'est pas beau, ça ? Peut-être un peu trop à sens unique ? Nooooonnn...
Forte présence audio, essentiellement présente sous deux formes : premièrement Sam, le pianiste de Rick qui officie dans son bar de Casablanca mais qui officiait déjà dans celui de Paris, "La belle Aurore", et qui re-joue, lors de la rencontre des deux amants, l'air qui les liait déjà dans la capitale française, "As time goes by", très belle musique au demeurant. La musique joue alors, de manière à peine déguisée, le rôle des madeleines de Proust : l'événement qui brise la chronologie, qui fait glisser la conscience ou le souvenir sur la pente du temps, l'événement qui court-circuite la chronologie et rapproche deux sensations passée et présente. "As time goes by", c'est une madeleine. Bref ; et deuxièmement le chant collectif, au centre du film, initié par les Nazis, genre provoc' grave, dans le bar, bientôt étouffé par un second chant, en réaction, de tout le bar, qui sous l'influence de Laszlo, crie La Marseillaise. Autrement dit, cette seconde occurrence musicale joue comme un rapport de forces, un bras de force, quasi symbolique, ou plutôt politique, entre l'oppression et la liberté, nazisme et Résistance. Deux usages de la musique, aussi bien pensés (individuel/collectif, c'est-à-dire amour et guerre, les deux thèmes du film), ça a de la gueule, non ?
N'en rajoutons pas trop, mais très bon jeu des acteurs, ça sonne faux à aucun moment, malgré l'indécision et de l'animosité qui entouraient, semble-t-il, le tournage (scénario qui s'est écrit pendant le tournage, menant à quelques rixes ; pour prendre le meilleur exemple : Ingrid Bergman ne savait pas avec qui son personnage finirait à la fin, Laszlo ou Rick ; elle ne l'a su qu'à deux semaines de la fin...). Et puis la fin n'est pas complètement un happy end (tel que le voudrait la dialectique décrite), mais un sacrifice, un renoncement à l'amour pour la guerre. RESISTANCE !
Du très lourd : 18/20, obligé.
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