On connaît deux visages du journalisme au cinéma, outre son aspect outrancier quand il s'agit de le caricaturer comme un organisme dépourvu de sensibilité. L'un est manipulateur et l'autre salvateur, chacun dans une mesure qui lui est propre, notamment lorsqu'il s'agit du moteur narratif. Spotlight, Pentagon Papers, Network, Les Hommes du Président, Le Cas Richard Jewell et Illusions Perdues, ne sont que des exemples de cette observation, qui penche sur la tendance du scandale, surtout lorsque l'on s'aligne sur une pensée politique et nécessaire pour les droits de tous. Ici, les femmes auront leur mot à dire, bien que nous ne soyons pas étrangers du propos, qui a dès lors submergé nos conditions de vie et de travail. Maria Schrader (Vie amoureuse, I’m Your Man, la série Unorthodox) revient ainsi sur l'investigation de deux journalistes du New York Times, qui ont fait condamner peu de temps après un des magnats d'Hollywood, également à la suite d'une vague de témoignages alarmants.
L'accusé est autant dans le décor de cette reconstitution de fiction, où l'on se porte garant des lourdes accusations à l'encontre d'Harvey Weinstein, de même que ses doublons, quel que soit le milieu professionnel visé. Son emprise à des teints sur cette affaire, qui piétine sur ses contraintes de documentation et de partage. Mais au-delà de la personnalité politique visée, c’est tout un pan administratif qu’on cherche ardemment à faire sauter les verrous. Jodi Kantor (Zoe Kazan) et Megan Twohey (Carey Mulligan) sauvegardent ainsi la mémoire de femmes, qui se sont isolées et se sont fait oublier dans leur traumatisme. Ashley Judd revient également sur ses échanges avec le journal, dans son propre rôle, qui met un accent supplémentaire à la pertinence de la profession de comédienne, brisée par les vices d’un seul homme. C’est donc dans la sororité que le récit cherche avant tout à réconforter et à adresser un regard ou simplement une écoute bienveillante.
Le jeu du champ-contrechamp n’a rien d’excessif dans son dispositif, qui embarque le spectateur dans une compréhension mutuelle et qui n’atténue en rien la douleur portée par les victimes d’agression. On prend ainsi le temps de brosser le portrait Jodi et Megan, à différents stades de leur maternité, conjuguant sans relâche leur effort quotidien, de jour, comme de nuit et au bureau, comme au pied du berceau. La bienveillance de leur entourage leur donne également une force qui leur permet de tenir la barre, tout comme la présence de Rebecca Corbett (Patricia Clarkson) qui leur apporte tout le soutien moral nécessaire. La cause est personnelle pour ces femmes, discrètes à l’écran, mais décisive dans leur ambition. Dans un monde paralysé par l’impasse mexicaine, où tout le monde se braque dans le silence, on se mobilise une fois de plus, pour arracher un semblant de culpabilité chez les bourreaux, principalement masculins. Pourtant, ce sont celles qui ont leur arme chargée, ce sont bien ces femmes qui ont la voix qui porte et qu’on mettra au centre des discussions.
Chercher les bons leviers à actionner passe alors essentiellement sur le jeu impeccable des interprètes, qui retire la sève dramaturgique du contexte, qui n’en a pas besoin pour émouvoir. Pourtant, il manquerait cette face cachée de la prédation sexuelle, posée sur le coin de la table et libre d’interprétation, pour consolider l’exercice de style, qui fait l’économie de la composition, afin de s’attarder sur un temps de parole précieux, souvent répétitif, mais la contraction des faits l’exige, au risque de franchir les limites de sa pertinence. En somme, « She Said » ne déborde pas de son point d’ancrage, à savoir l’hommage au courage des journalistes qui se sont battus pour une riposte féminine, dont on ne prive plus la liberté d’expression ou la possibilité de résilience. Dans le même mouvement, le sexisme implanté dans le système dévoile ses plaies, qui ne doivent pas être refermées de sitôt, afin de ne pas répéter cette marche laborieuse et exténuante.