Voici un film qui, entre autres récompenses, remporte presque systématiquement le Prix du Public dans tous les festivals où il est présenté. Un film qui sort de l’ordinaire comme l’étaient déjà "Noor" et "Ningen", les deux films précédents du couple franco-turc Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci.
Sibel, c’est la fille aînée de Emin, veuf et maire d’un petit village du nord-est de la Turquie. Bien que muette, elle peut communiquer avec les autres car elle a la chance de faire partie d’une communauté dont la plupart des membres pratiquent et comprennent le kus dili, un langage sifflé pratiqué dans cette région. Par ailleurs, son infirmité a de bons et de mauvais côtés. C’est ainsi que, dans cette communauté pleine de préjugés, il peut lui arriver qu’une jeune femme de son âge, sur le point de se marier, lui ordonne de s’éloigner, craignant que sa proximité lui fasse engendrer des enfants muets.
Par contre, grâce à ce handicap qui en fait un personnage à la marge, grâce aussi à un père aimant et (relativement) ouvert, elle bénéficie d’une plus grande liberté dans sa vie, elle peut s’affranchir des règles sociales qui régentent la vie des jeunes femmes de son âge : elle n’a, par exemple, aucune obligation, bien au contraire, de se marier jeune et de se retrouver très vite avec de nombreux enfants. Elle peut aussi avoir un comportement totalement différent face à la présence du loup dans l’environnement du village. Que cette présence soit réelle ou fantasmée, elle inquiète beaucoup les congénères de Sibel, alors que celle-ci, excellente tireuse, part régulièrement en chasse avec son fusil, avec le secret espoir d’être adoptée par la communauté au cas où elle arriverait à éliminer l’animal. Des ballades en forêt qui vont lui faire rencontrer Ali, un homme en cavale qui dit se cacher parce qu’il ne veut pas effectuer son service militaire mais dont les autorités prétendent que c’est un terroriste. Une rencontre qui ne va pas améliorer le statut de Sibel auprès des villageois et des villageoises.
Tenant à la fois du conte et du thriller, "Sibel" est aussi un film qui, de façon intelligente et feutrée, stigmatise l’exclusion dont sont trop souvent victimes les hommes et les femmes qui ne rentrent pas dans le moule et met en exergue la solidarité féminine, trop souvent absente face au poids des traditions et à la domination masculine. "Sibel" nous permet aussi de découvrir Damla Sönmez, une comédienne turque de grand talent, tellement expressive qu’on en oublie qu’elle joue le rôle d’un personnage qui ne peut pas parler. Sans l’ombre d’un doute, un des meilleurs films de ce début d’année.