Une guerrière
Accroché à son souffle, on la suit courir dans la forêt d'une vallée de montagne. Fusil en bandoulière, elle traque le loup, comme s'il en allait de sa vie, parce que les femmes du village n'osent plus aller dans la forêt, ni monter vers le rocher sacré qui surplombe la vallée.
A défaut d'un loup, Sibel tombe sur un fugitif, jeune homme recherché pour terrorisme, mais qui semble surtout fuir le service militaire. Sibel est muette, et ne s'exprime que dans une langue sifflée des montagnes. Après l'avoir jeté dans son piège à loup, elle le soigne, le nourrit en cachette de son père et de sa petite sœur, des habitants du village. Ils arrivent à communiquer et parviennent à une sorte d'apprivoisement, tout à la fois farouche et sensuel.
Pas loin du refuge où elle cache son fugitif, Sibel prend aussi soin d'une vieille femme, Narim, qui vit recluse dans une maison en bois. Une fois découverte la présence du « terroriste » , Sibel subit encore plus l'opprobre du village, la violence des femmes.
Sibel est comme un conte issu du Moyen-Age. La forêt y symbolise la nature brute et dangereuse, mais elle devient un havre de repli pour tous ceux qui sont exclus par la communauté, fugitifs ou êtres sauvages et différents.
Ce qui est original dans ce film, c'est que le poids des traditions est porté par tous, et toutes surtout. Les femmes perpétuent elles-mêmes les règles qui les contraignent dans la soumission, alors que le père de Sibel, qui vit seul avec ses deux filles, montre un visage bienveillant dont les rares sourires donnent la force à sa fille de s'affirmer malgré tout.
Pour ceux qui ont vu Mustang (2015), réalisé par Denis Gamze Ergüven, film qui racontait l'histoire terrible, dans un village turc, de cinq sœurs qu'il faut marier à tout prix : s'y retrouve cette même atmosphère oppressante autour du difficile chemin des filles vers l'émancipation... et la même rage de celles qui ont le courage de s'opposer.