C’est triste…
Oui, c’est triste de penser le cinéma comme ça.
C’est même triste de penser comme ça tout court.
Plus qu’un problème en soi, cet « Alice et son maire » est juste un symptôme.
Symptôme de ce qu’est notre cinéma. Symptôme de ce qu’est notre société.
Il s’en réduirait presque à une forme de démonstration par l’absurde…
Car au fond, qu’entend nous proposer cet « Alice et son maire » ?
Du discours déjà. Beaucoup de discours. On parle de politique dans des bureaux. Derrière des pupitres. Dans des voitures. Dans des appartements bourgeois. Dans des opéras. Car oui, dans ce film la politique ne se réduit qu’à parler, créer et se ménager des relations, construire et déconstruire des postures. Rien de plus. On n’est jamais sur le terrain. Jamais auprès des gens. La grande majorité de ceux qui parlent et qui ont le droit à un nom sont soit politiciens, communicants ou riches mécènes. Les rares représentants de la « société civile » se réduisent ici à trois maigres représentants. D’abord le pote bourgeois de l’héroïne ; celui qu’elle s’est fait au temps où elle usait les bancs de l’ENA. Ensuite la femme de ce pote, encore plus bourgeoise que lui. Et enfin – celui qu’on nous présenterait presque comme le représentant du du bas-peuple – un imprimeur de centre-ville qui se plaint de voir disparaître les bons vieux savoir-faire du terroir au profit du numérique. Un vrai prolo confronté aux vrais gros problèmes du quotidien en somme…
Alors certes, on parle beaucoup dans cet « Alice et le maire » mais on reste lucides malgré tout. On a conscience entre bonnes personnes de gauche qu’on se contente souvent de ne faire que des discours. On invoque aussi les grands auteurs pour se rappeler qu’une politique ne peut être de gauche qu’à partir du moment où elle se fait au contact direct du peuple. Et puis on n’oublie pas de nous rappeler sans cesse que ce qui manque à ce monde de politiciens, c’est de la pensée. De la culture. Des idées… Et donc, telle la plus absurde des farces – absurde parce qu’à peine conscientisée – ce film passe son temps à conspuer dans le discours ce qu’il incarne pourtant à l’écran.
Parce qu’oui, quelle plus belle illustration de cette gauche bourgeoise, coupée du peuple, de la pensée et des idées que tout ce qui a conduit à ce film ! Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi, Léonie Simaga : chacun représente à sa façon la bourgeoisie de Paris ou de la province ; la bourgeoisie des réseaux et du compagnonnage. Et voilà que, tous ensembles, ils se mettent au service d’un film écrit et réalisé par Nicolas Pariser – auteur dix ans plus tôt d’un court-métrage intitulé « Le Jour où Ségolène a gagné » – le tout prenant place à Lyon, fief de Gérard Collomb, symbole ultime de ce PS totalement déconnecté des masses populaires.
D’ailleurs, déconnecté des masses populaires, ce film l’est aussi. Pas de risque de croiser un prolo dans les salles. Avec une forme pareille, ça ne risque pas. Tous les clichés du cinéma bourgeois sont là, reproduits dans le moindre détail. Technique triste. Usage utilitariste des cadres. Photographie hideuse qui tire abusivement sur l’orange et le bleu (…sans qu’il n’y ait de raison particulière à cela d’ailleurs). Et puis de temps en temps une flute traversière, une harpe et un piano qui viennent faire l’accompagnement musical. Bref, c’est bon. Ça va. On a compris à qui ce film entendait s’adresser…
Et le pire, c’est non seulement que ce film ne se limite qu’à du discours, mais en plus il n’est au final que du triste discours. Car que doit-on tirer de toute cette gloserie au bout du compte ? Pas grand-chose si ce n’est peut-être un étrange éloge posthume adressé à l’égard de… François Hollande. Parce que bon – on ne va pas être des buses non plus – si on prend la peine de bien tout prendre, la démarche est quand-même assez claire. De qui parle-t-on quand on parle de cet homme politique qui est dans le circuit depuis si longtemps, en manque d’idée et qui brigue l’Élysée ? Qui est cet homme politique simple et posé, qui entend baser toute sa campagne sur la « modestie » ? Et à quoi fait référence cette fin où
le pauvre édile tarde à s’exprimer auprès de son parti et se fait finalement damer le pion par une primaire ? Cet édile qu’on retrouve ensuite trois ans plus tard, retiré de la vie politique, triste de ne plus servir alors qu’il aurait pu tant faire pour la France ?
Bah oui, pour moi le film a poussé la farce jusque là. Il passe son temps à critiquer en discours cette gauche qui parle, ne fait rien, et se déconnecte des choses et des gens, mais en parallèle il rend un hommage à peine déguisé à la Hollandie… La vache, mais dire cela c’est tout dire…
De toutes façons – et à bien tout prendre – ce film c’est la transposition cinématographique du hollandisme. De l’entre-soi. Beaucoup de discours qui ne sont suivis d’aucuns effets. Une absence totale de réflexion dans le fond ainsi que dans la mise en forme. Et surtout, une cécité absolue sur le fait qu’au final on soit soi-même le problème qu’on dénonce. C’est en cela que ce film c’est du hollandisme pur-jus. C’est un film dans sa bulle qui passe son temps à dire mais qui se refuse à voir. C’est reconnaître qu’il y a un problème en politique mais tout en continuant de présenter une vision totalement fantasmée et idyllique du milieu. C’est déclarer qu’il faudrait peut-être tout changer mais tout en entretenant cette illusion d’institutions et de personnels toujours intègres.
Le genre d’illusion à seule la bourgeoisie dite de gauche est encore prêt à croire.
Une illusion que – soit dit en passant – seule la bourgeoisie dite de gauche a encore intérêt à entretenir…
Et ce film a donc été financé et diffusé.
Il a été remarqué lors de la Quinzaine des réalisateurs et apprécié par la critique conventionnelle.
Hollande saura donc avec ce « Alice et le maire » qu’il a encore des soutiens et des nostalgiques dans les sphères de pouvoir du cinéma.
Tant mieux pour lui.
Mais tant pis pour nous.
Et surtout, tant pis pour le cinéma…