La base de loisirs de Cergy-Pontoise est un lieu que tous les cinéphiles connaissent, en tout cas tous ceux qui apprécient Éric Rohmer, puisque ce dernier y a tourné des scènes de l’un de ses meilleurs films (« L’amie de mon amie » en 1987). Guillaume Brac, lui, s’y est tellement plu qu’il y a tourné deux films : une fiction (« Contes de juillet », bientôt sur les écrans) et ce documentaire, projeté dans les cinémas depuis début juillet.
L’endroit mérite bien qu’on lui consacre ces deux nouveaux films : la base de loisirs de Cergy-Pontoise se présente comme une île au milieu des étangs, une île recelant de multiples possibilités que, bien sûr, le cinéaste se fait une joie d’explorer tout en déjouant allégrement la ronde des clichés qu’on se plaît à égrener dès qu’il est question de la banlieue. Certes, dès le début du film, Guillaume Brac filme des adolescents parvenant à entrer dans la base de manière frauduleuse (car les mineurs non accompagnés n’y sont pas admis), deux d’entre eux essayant à nouveau, dans une autre scène, d’y pénétrer en escaladant un portique, mais ce ne sont là que des gamineries, ce que comprennent parfaitement les gardiens qui, chaque fois, les refoulent en douceur.
C’est sur les modes de la découverte et des rencontres que se déroule le film, comme s’il fallait explorer chaque recoin du parc tout en ne manquant aucune occasion de donner la parole aux uns et aux autres. En filmant le temps qui passe lors de belles journées d’été (sauf à la fin du film où la survenue d’un orage annonce la saison suivante et donc la fermeture de la base de loisirs), le cinéaste se déplace de lieu en lieu, offrant à nos regards les multiples aspects de son champ d’investigation : la plage où l’on vient se prélasser en famille et se baigner, la diversité des jeux proposés (pédalo, toboggan, plongeoirs, jetlev flyer, etc.), mais aussi les endroits plus secrets, plus retirés, voire plus sauvages, où l’on peut s’isoler de la foule. Guillaume Brac va même jusqu’à glisser sa caméra dans le bureau de la direction où le directeur et son adjoint débattent de questions de sécurité : des emplacements qui conviennent le mieux pour l’installation de nouvelles caméras de surveillance ou de ce qu’il faut faire si l’on repère des individus ayant réussi à entrer dans le parc avec un NAC (c’est-à-dire un Nouvel Animal de Compagnie, rat, perroquet, serpent ou autres espèces n’étant ni des chiens ni des chats) !
On rencontre de tout à la base de loisirs de Cergy-Pontoise : des jeunes hommes occupés à draguer des jeunes filles, des sportifs qui se livrent à des exploits, des enfants qui jouent, des nostalgiques qui se mettent à l’écart pour essayer de retrouver un peu de ce qu’était le lieu avant qu’il ne devienne, comme le dit l’un d’eux, « un luna-park », des femmes chantant d’une voix stridente lors d’une fête portugaise, un homme expliquant comment il est parvenu à sortir d’une geôle de Conakry, un Afghan ayant échappé à la griffe des Moudjahidines et expliquant combien sa femme et lui ont eu du mal à apprendre le français et à s’intégrer lorsqu’ils sont arrivés dans l’hexagone…
Cette énumération non exhaustive pourrait donner à croire que l’on a affaire à un film fourre-tout, mais il n’en est rien. Si Guillaume Brac s’est laissé surprendre par des rencontres imprévues, il n’en a pas moins réussi, assez subtilement, à indiquer une sorte de fil conducteur ou, si l’on préfère, un thème sous-jacent à tout le long-métrage. Ce thème est d’ailleurs énoncé clairement par un jeune homme faisant la démonstration de ses talents de plongeur avant de raconter sans vergogne ses libertés concernant la réglementation du parc : chaque fois, le garçon exulte non pas tant à cause de ses exploits mais, simplement, parce qu’il s’émerveille d’être vivant. Ses actions éclatantes lui procurent davantage que d’ordinaire ce sentiment d’être doté du plus beau des cadeaux, celui de la vie !
Mais ce sont les enfants, très présents dans le film, qui magnifient le mieux le don de la vie : leurs jeux, leurs rires et leurs émerveillements en sont la manifestation la plus authentique. Le cinéaste se plaît tant à les filmer qu’il s’attarde assez longuement sur deux d’entre eux, deux frères qui, avec trois fois rien, des bouts de bois, une flaque d’eau, des broussailles, un chemin pentu, s’inventent le plus trépidant des terrains d’aventure. Ces deux-là, sans le savoir, ont trouvé le trésor de l’île, le fameux trésor : il a pour nom la joie de vivre !