Pedro Almodóvar a toujours baigné dans ce genre de nostalgie, qui mêle les passions et les responsabilités. Après “La Piel que Habito” et “Julieta”, le réalisateur espagnol fait face à sa propre carrière et pose une ambiguïté quant à son élan dramaturgique, qui l’a porté jusqu’à de nombreuses récompenses. Mais loin de faire ses films pour la reconnaissance, il se limite avant tout à des récits intimistes qui reflètent souvent son état d’esprit. Dans ce dernier épisode de sa vie, il prend du recul, se questionne et reprend souffle. Il cherche désespérément des réponses sur sa conquête du cinéma. Et c’est en avouant certaines failles, certaines cicatrices, qu’il réussit à convaincre une audience qui n’a pas forcément besoin de le connaître d’aussi près. Il résonne comme universel, tout comme chaque passage qu’il fait derrière sa caméra. Il reste toujours une histoire à raconter, même en partant d’un maigre postulat et il ira toujours plus loin pour exhiber son art et son tableau psychanalytique.
Le cinéma est épuisant, physiquement et mentalement. Son film repose sur ses dires, à travers un ego répondant au nom de Salvador Mallo (Antonio Banderas). Ce réalisateur est au bout d’un parcours à succès, mais qui n’arrive plus à se renouveler comme il le souhaiterait. Là où nous pouvons trouver de la valeur, lui il les cache dans un tiroir ou au côté de sa nouvelle amie, l’héroïne. Le fléau qu’il affronte, c’est pourtant la nostalgie et nous le ressentions déjà dans des précédentes œuvres, comme “La Mauvaise Éducation” ou encore “La Loi du Désir”. C’est pourquoi Alberto Crespo (Asier Etxeandia) vient rapidement se greffer à l’intrigue, qui entremêle avec aisance, l’enfance du réalisateur et son rapport à la solitude qu’il vit sur ses jours les moins captivants de sa carrière. Pauvre en amour, il cherche du réconfort chez un frère d’armes qu’il redoute, mais qu’il pardonne pour des raisons de perspective, car l’héritage, personne ne souhaite l’entendre, ni Almodóvar, ni les spectateurs. On sent qu’il est trop tôt et qu’il y a encore un peu de place pour innover ou prétendre à une meilleure porte de sortie.
Grâce à sa démarche assez contemplative, on s’immerge donc dans une enfance qui justifie l’éveil d’un homme et l’éveil de son art. L’esprit qu’on associe à la maternité, Jacinta (Penélope Cruz), est le fruit d’une déclaration d’amour dont on découvre les subtilités au fur et à mesure que le passé vient s’emboîter dans un l’instant présent. Alors oui, nous sommes loin de la révérence et si proches d’un rebondissement. C’est le chaos avant la chute ou un nouveau départ, mais rien n’est écrit à l’avance, si ce n’est un passé que l’on redore par le biais de l’écran. Ainsi, les émotions se cristallisent et l’image s’immortalise. Il y a tout un travail sur la beauté du geste et cette poésie, qui parle de la tolérance et d’une tragédie intime. Il n’est pas nécessaire de partager les mêmes aboutissant pour comprendre le mal-être d’un homme au bord de la crise. La douleur rappelle donc cette vieillesse qui s’empare à la fois d’un corps et à la fois d’une âme, aussi bienveillante et talentueuse soit-elle.
Le spectateur est rarement déçu quand il a affaire à un ton aussi puissant. L'élocution d’Almodóvar porte “Douleur et Gloire” à embrasser une fibre sentimentale, propre à l’artiste, mais également propre au 7ème Art, de l’écriture à sa mise en scène. Pas besoin d’aller plus loin qu’une salle de théâtre pour dépeindre la férocité de ses propos. Il redonne espoir et relance avec malice l’intérêt de la cinématographie dans sa vie et sur ses proches. Il faut simplement une bonne leçon introspective et un bon miroir pour y voir clair, d’où la puissance des flashbacks et leur utilité, jusqu’au bout du spectacle. Le résultat bouleverse et on ne peut qu’attendre impatiemment le dessert épicé, mais équilibré qu’il nous promet avec cette fable confessionnelle.