Etrange objet que ce film, à la fois hyper-, et pas du tout-almodovarien.
Hyper, il l'est d'abord par ses décors et ses couleurs, ah, ce bordeaux rutilant qu'Almodovar oppose à du curry ou du turquoise... Il l'est pas ce mélange d'époques, par cette prégnance de souvenirs d'enfance -avec, toujours, ce passage dans une institution religieuse sur lequel, ici, il n'insiste pas, avec ce premier éveil d'une homosexualité évidente.
Pas du tout, parce que dans ce climat de désenchantement, de nostalgie, de fin de règne, nous ne retrouvons pas le pétaradant espagnol. Même dans ses oeuvres les plus noires (et dieu sait qu'il y en a!), comme Parle avec elle par exemple, il y avait toujours une pulsion de vie, une force animale totalement absente ici. On se croirait chez Bergman....
Salvador, cinéaste, est homosexuel et hypocondriaque (c'est vrai qu'il a des ennuis, des vertèbres en vrac, une opération ratée, des exostoses qui appuient sur son oesophage et l'empêchent d'avaler). Il se soigne à grands coups d'opiacés, puis d'héroïne, ce qui ne doit pas être une très bonne idée.... Il n'a plus de goût à rien; il n'a plus, ni de compagnon, ni d'envie de tourner. Il se prétend trop malade pour affronter la mise en oeuvre d'un nouveau film -même pas question d'écrire le scénario. Ce sont sa gouvernante et surtout sa fidèle amie Mercedes (Nora Navas) qui le portent et le font vivre! Chez Almodovar, ce sont souvent les femmes qui portent les hommes...
La cinémathèque veut organiser un débat autour d'un film qui avait eu du succès, trente ans plus tôt, et lui avait valu une brouille très médiatique avec son acteur vedette, qu'il trouvait à côté de la plaque, Alberto (Asier Etxeandia). Occasion de renouer avec le passé.... et le passé se réveille aussi avec la visite surprise de Federico (Leonardo Sbaraglia), son amant (et grand amour) d'alors, désormais marié et père de famille en Argentine. Et enfin, avec un dessin qui refait surface dans une exposition de peintres naïfs. Celui qui l'a fait, Albanil (César Vicente) qui aimait dessiner mais ne savait pas écrire, le petit Salvador (Asier Flores) lui donnait des leçons de lecture et d'écriture, en échange de petits travaux à la maison...
Et en fait, ce sont ces lumineux souvenirs d'enfance qui, en quelque sorte, "sauvent" le film. Cette vie dans une maison troglodyte, auprès d'une mère courage, Jacinta la vibrante Penelope Cruz qui n'a jamais été aussi jolie (le père, très absent, n'a pas l'air très courageux), qui comprend que son fils est exceptionnellement doué, et qu'il doit faire des études, et pour cela rentrer au séminaire (pour les pauvres, il n'y a pas d'autre possibilité). Et qui, âgée (Julieta Serrano), lui dira "tu n'as pas été un bon fils"
Et sans doute est ce la clé du film, de la dépression de Salvador. Comprendre, après la mort de sa mère, la personne qu'il a le plus aimée au monde, qu'il n'a pas été un bon fils. Elle voulait s'installer avec lui après la mort du père; il n'a pas voulu scandaliser cette dévote avec sa vie de fêtard gai; elle l'aurait dérangé.... Et c'est à cause de cette précieuse clé que le film nous émeut et nous touche, et que nous pouvons entrer en empathie avec Salvador, alors qu'il est, intrinsèquement, plutôt tête à claques...
Même s'il n'a pas volé son prix d'interprétation à Cannes, même s'il est intrinsèquement excellent.... Antonio Banderas est un peu trop sain. Trop vivant, trop droit dans ses bottes -trop jeune aussi, malgré sa barbe blanche, pour être complètement crédible.
A voir plutôt pour las almodorophiles militants.