Au cinéma, il n’est jamais aussi beau que de découvrir une nouvelle période de la carrière d’un grand cinéaste. Pour Almodovar, désormais vieillissant, il n’est plus temps de continuer dans cette voie de mauvais garçon qu’il suivait. D’autant plus qu’avec ‘’Les amants passagers’’, Almodovar semblait avoir atteint les limites de son cinéma. Il était temps pour Almodovar de passer à autre chose. Cette nouvelle voie, Almodovar l’a inauguré avec ‘’Julieta’’, drame d’une belle sobriété quand on compare avec les œuvres précédentes de l’Espagnol. Le voilà donc qui continue dans cette lignée marquée par un drame contenu, loin de la période plus sulfureuse du réalisateur. Et comme s’il était arrivé à la fin d’un cycle, Almodovar en vient à réaliser son film le plus personnel et aussi son plus autobiographique.
Douleur et gloire, c’est tout ce que semble maintenant avoir le réalisateur Salvador Mallo. Dans son luxueux appartement, entouré de nombreux tableaux, Salavador Mallo souffre. Malade, vieillissant, Salvador va renouer avec son passé par le prisme de différentes rencontres. Parallèlement à ces rencontres, Salvador se souvient de son enfance marqué par la pauvreté ainsi que de sa mère.
Malgré le titre, la gloire, elle, est peu présente dans le film. Elle se révèle presque factice : Salvador n’en tire profit qu’avec son belle appartement. La rare trace de gloire obtenu par Salvador est de voir son film désormais culte présenté à la cinémathèque. Almodovar éclipse d’ailleurs ce moment où Mallo atteint la gloire : comment il a réussi à s’extirper de cette pauvreté dans lequel il vivait étant jeune pour devenir le metteur en scène de renom qu’il est dorénavant. Au contraire de la douleur qui, elle, est omniprésente à l’écran. Dans une étonnante séquence d’animation, Salvador dresse son bilan médical et psychologique. Malade, affaibli et quasi dépressif, Salvadot vit reclus dans son appartement, volets fermés et n’est plus que l’ombre de lui-même. On serait tenté sur le moment de voir le film comme une œuvre testamentaire pour Almodovar, qui, espérons le, n’est pas en aussi mauvais état que son personnage principal. Car le cinéma d’Almodovar n’a jamais été aussi intimiste et autobiographique qu’avec ce film-ci. Toutefois, ‘’Douleur et gloire’’ est en fait plus trompeur qu’il en a l’air. Au début du film, on peut avoir l’impression que le film va décrire une descente aux enfers pour son héros. D’autant plus que le héros du film va se laisser séduire par la drogue. Et malgré cela, le film décrit exactement l’inverse. La scène de la piscine a quelque chose de prophétique : un homme très abîmé au fond d’une piscine va pourtant réussir à émerger et sortir la tête de l’eau. ‘’Douleur et gloire’’ est un film thérapeutique et salutaire. Ce que décrit ‘’Douleur et gloire’’, c’est une véritable résurrection pour Salvador (et Almodovar?). Salvador parviendra à surmonter la douleur en rencontrant les fantômes du passé.
Ainsi, il renoue avec son acteur fétiche Alberto Crespo avec qui il s’était brouillé bien des années auparavant et lui confie même un texte à jouer sur scène. De plus, Salvador reçoit la visite de son ex Federico, ce qui offre de chaleureuses retrouvailles.
Et puis, bien sûr, ces fantômes, ceux sont les visions d’une mère et d’une jeunesse plus que modeste dans une grotte d’un village pauvre de Paterna. Un passé qui contraste forcément dans les décors du film (riches et colorés dans le présent et plus sobre dans le passé) et qui n’a laissé dans la vie désormais aisée de Salvador que quelques vestiges : un œuf qui servait à repriser les chaussettes de Salvador ou encore un dessin représentant Salvador jeune.
Un passé enfin, qui, après avoir miné Salvador (il ne s’est jamais remis de la mort de sa mère) finit paradoxalement par le sauver (puisqu’il lui permet de regagner l’inspiration comme en témoigne le dernier plan du film).
Mais parler des qualités de ‘’Douleur et gloire’’ revient nécessairement à parler de l’interprétation d’Antonio Banderas. Si la palme d’or 2019 a été très bien reçu, plusieurs critiques ont regretté qu’Almodovar ne soit pas récompensé. En effet, ‘’seul’’ Banderas fut couronné pour son interprétation. Il est vrai qu’Almodovar aurait mérité un petit quelque chose (un prix de la mise en scène ou carrément le Grand prix). Il est vrai aussi qu’Almodovar a toujours été un très solide directeur d’acteurs et que Banderas lui doit beaucoup. Il n’en demeure pas moins qu’ici c’est bien Banderas qui sublime le film d’Almodovar et non l’inverse. On peut aller plus loin en disant qu’à l’instar d’un Fellini qui était sublimé par son double Mastroianni, Almodovar est sublimé par son double Banderas. Il se dégage de la beauté vieillissante de Banderas une noblesse de jeu vibrante qui fascine. Et n’en déplaise aux fans absolus du film (et il y en a de plus en plus), il ne fait aucun doute que l’accumulation de pathos dans ‘’Douleur et gloire’’ aurait paru plus artificiel sans la présence de Banderas. Le prix d’interprétation masculine est donc mérité. Il est par ailleurs logique qu’Almodovar n’ait pas la Palme vu que son film n’est pas vraiment politique, élément inhérent à une Palme d’or.
Peut-être un peu trop doloriste pour convaincre tout à fait, ‘’Douleur et gloire’’ est l’un des films les plus introspectifs de Pedro Almodovar. Brillant et sobre (sur l’échelle d’Almodovar), le film parvient à nous conquérir grâce à la belle interprétation d’Antonio Banderas. Ce dernier, blessé est celui qui arrive à nous transmettre toute la douleur de son personnage, plus que l'écriture d'Almodovar en elle-même.