Difficile de rester indifférent face au premier long-métrage de Camille Vidal-Naquet qui joue avec les extrêmes pour y déceler une indicible tendresse. "Sauvage", film indépendant intriguant, nous plonge dans les abysses de la prostitution masculine, avec réalisme, humanité et violence. Le réalisateur a su saisir de façon espiègle cette bande d'hommes de trottoir déshumanisés, désapprouvés et reclus de la société, et ce, loin des clichés. Après un début imprévisible qui place tout de suite dans l'ambiance, on assiste, sans pudeur, à leurs relations, leurs amitiés et leurs conflits. Par le biais d'un anti-héros en quête d'intimité et de douceur, on est pris à vif grâce à l'interprétation brutale et habitée de Félix Maritaud qui tient sur ses épaules toute l'intensité du film. Eric Bernard, acolyte de trottoir, vient contre-balancer son énergie ainsi que les idées reçues sur le tapinage, avec coeur et rudesse. On assiste à ce quotidien hors du temps, stimulé par des désirs sexuels atypiques où Léo, principal protagoniste, se perd pour se réparer ou se détruire à l'image d'un Phoenix dont on abuserait de son incroyable pouvoir de régénérescence. Pourtant, on ne saura jamais rien de son passé ou des raisons qui l'ont conduit à cette situation ; ne comptent ici que le présent et ces piques de vie fulgurantes. Dans cette cruauté des images et de l'homme animal qui assouvit ses pulsions hormonales, une poésie angélique se dégage par la présence de cet être déboussolé mais aussi hypnotisé par ce tourbillon charnel. Comme une sorte de spleen des temps modernes. C'est d'ailleurs lorsqu'il rentre en contact avec d'autres êtres qui voient en lui un être humain qu'une émotion douce et tendre se fait sentir. Subtilement, on découvre qu'il n'y a que l'apparence de cet objet de fantasme qui est sublimé et attrayante car à force de s'oublier lui-même, son corps crie à l'aide et se détériore à petit feu. Et croyez moi, face à la violence extrême d'autres scènes, celles-ci offrent une respiration et une prise de conscience qui poussent à la larme, voire au sanglot. On pourrait reprocher au film son côté trop cru et parfois répétitif dans sa grande tendance à l'extrême qui semble enfoncer les personnages dans un trou irrécupérable, à l'image d'un déchet ou d'une épave. Mais Camille Vidal-Naquet n'a pas voulu faire un film civilisé, bien au contraire, il l'a souhaité abrupt, poisseux et sauvage... sans pour autant être indigne ou sordide. C'est une tranche de vie parfaitement servie, qui remue et qui marque.