Avec des numéros où le fantastique vient illuminer avec douceur le quotidien du public italien, "Freaks Out" s'ouvre sur la plus belle magie naïve d'une représentation d'un cirque éphémère. Tour à tour, les capacités de chacun des membres de la petite troupe qui le compose nous y sont dévoilées, habilement présentées pour réveiller la même âme d'enfant qui transparaît de l'émerveillement de ses spectateurs. Et puis, le chaos, soudain, abrupt : de toute sa puissance dévastatrice, la violence de la Seconde Guerre Mondiale vient percuter cette bulle de féerie de son fracas le plus assourdissant, laissant les saltimbanques -et nous avec- sonnés, abandonnés à leur sort dans un monde où les envies de merveilleux sont évidemment reléguées à l'arrière-plan. Entre un potentiel départ pour les États-Unis et les sirènes d'un cirque allemand à succès à Rome, le lion (un colosse poilu), l'épouvantail (un as des insectes à l'allure dégingandé), l'homme de métal (un petit aimant sur pattes) et Doroth... Matilde aux gants rouges (une pile surchargée) s'interrogent sur la meilleure route de pavés à suivre pour leur bien de leur avenir commun ou séparé...
Au vu de l'excellente surprise "On l'appelle Jeeg Robot" en 2017, c'est peu dire qu'on plaçait beaucoup d'espoir en ce nouveau long-métrage de Gabriele Mainetti et, chose rare, "Freaks Out" est uno schaffio (une gifle) qui réussit à surpasser nos attentes les plus folles sur tous les plans !
Si vous aviez aimé le caractère si singulier de sa contre-proposition super-héroïque italienne devant les rouleaux-compresseurs US du genre, accrochez-vous : "Freaks Out" ne se contente pas de continuer à creuser ce sillon si attractif, il l'élargit désormais à tout un pan du cinéma fantastique pour en faire non plus un simple challenger mais un adversaire direct, voire un favori, face à sa plus emblématique concurrence grâce à la portée encore plus détonnante de son langage cinématographique ! Résumer la signature de "Freaks Out" ne peut ainsi se faire au mieux que par de vagues comparatifs en forme de mosaïque, il faudrait imaginer une rencontre improbable entre "Le Magicien d'Oz", les "X-Men", le chef-d'oeuvre incontournable de Tod Browning, le côté merveilleux freak de Guillermo Del Toro, la rage graphique d'un film de guerre nerveux et le cadre rétro d'une certaine idée du cinéma italien pour espérer approcher et décrire un minimum l'essence du film à quelqu'un qui ne l'aurait pas encore découvert. Surtout, contrairement à l'accumulation de blockubsters à la mécanique trop bien huilée (et beaucoup trop apparente), "Freaks Out" fait figure d'une véritable bouffée d'air frais par sa liberté de ton, son mélange de références digérées et inattendues, ses personnages réellement "freaks" par rapport à tout ce qui fait aujourd'hui ou encore sa capacité à apporter une spontanéité réjouissante et constante à son récit, et ce même dans les figures plus imposées de certains de ses virages scénaristiques !
Dans le fond, en simplifiant de façon extrême, "Freaks Out" nous raconte un refrain que l'on ne connaît que trop bien avec cette équipe de méta-humains faisant face à une menace qui veut s'octroyer leurs dons mais, ici, Gabriele Mainetti réussit à nous le faire vivre de façon inédite par l'intermédiaire de sa propre mélodie, où les notes les plus graves représentent des périls d'une violence rare (comme on ne pensait plus en croiser dans ce genre de film), où les plus légères nous font sourire sans pour autant chercher à désamorcer la gravité d'une situation, où l'harmonie des émotions qui s'en dégage nous emporte toujours avec la sincérité des liens unissant ses héros, où ses plus belles envolées font jaillir presque naturellement le fantastique à l'écran dans un déchaînement de vibrations contagieuses et où, en bon compositeur de l'ensemble, l'imagination débordante du réalisateur accomplit des prouesses visuelles pour nous entraîner à chaque fois au-delà du champ du connu. Sur ce dernier point, comment ne pas citer cette séquence absolument folle mettant en scène le pêle-mêle désordonné de visions provoquées par un don de clairvoyance, les manifestations les plus grandioses des différents pouvoirs toujours savamment pensées pour être vraiment décisives ou cette bataille finale généreuse, un poil trop longue certes mais ponctuée d'instants surprenants pour monter en puissance vers un ultime morceau de bravoure qui terrasse tout -et, encore une fois, nous avec- sur son passage ?
On pourrait bien sûr pointer du doigt quelques maladresses ici et là, nous empêchant de crier à la perfection, mais ces rares défaillances ne sauraient entacher notre si vif enthousiasme pour "Freaks Out", courez d'ailleurs vérifier par vous-même sur grand écran, on vous le promet, Gabriele Mainetti a signé là un film fantastique à la croisée des chemins unique et qui fera date par l'envergure dissonante de ses ambitions au sein d'un cinéma européen souvent trop frileux en la matière. Il est clair qu'on tient là une originalité de ton capable de renvoyer une majorité de blockbusters américains dans les cordes de leur formatage et, bon sang, avec la manière qui plus est ! Ces freaks ont décidément réussi à faire entendre leur différence.