Dans ses films, Adilkhan Yerzhanov bascule souvent entre le sérieux, le grave, le comique, l’ironique et le burlesque. Le metteur en scène explique pourquoi : "Après mon premier long-métrage (Realtors, 2011), dont j’étais très mécontent, j’ai compris quelque chose et depuis je me fâche souvent avec mes producteurs qui croient que mon film ne ressemble pas à mon scénario parce que j’ai voulu les tromper. Mais pas du tout. C’est juste que je considère que le scénario, c’est le mal. C’est une histoire, mais ce n’est pas encore de l’art. Pendant que je tourne, je cherche donc toujours comment créer un contre-point formel à la narration. Je pense que ce n’est que comme ça que surgit la vérité. Il n’y a pratiquement jamais d’humour dans mes scénarios. Cet aspect burlesque, cette destruction de la norme vient de la forme du film, non du scénario. Et après les producteurs se fâchent contre moi car ils découvrent une forme qui détruit d’une certaine manière le scénario initial."
Comme à son habitude, Adilkhan Yerzhanov a accordé beaucoup d'importance à la lumière dans La Tendre indifférence du monde. Le réalisateur, qui travaille toujours avec des directeurs de la photographie différents, précise : "La lumière c’est ce qui fait le plan. Qu’est-ce qui fait la spécificité du cinéma ? Pour Tarkovski, c’était le temps. Pour d’autres, le montage. Pour d’autres encore, les acteurs. Pour moi, c’est la lumière. Le cinéma c’est la lumière, son apparition, sa disparition, ses variations. C’est ce qui crée le sens du film."
Adilkhan Yerzhanov a voulu que des références littéraires et picturales très pointues émaillent son film : "Cela vient peut-être du fait que depuis The Owners (2014), j’essaie de créer un univers dont le référent principal serait les arts. Ici, ça se justifie également par le fait que Saltanat, mon héroïne, fait de l’escapisme. Elle tente d’échapper à la réalité et pour fuir, elle se tourne vers la littérature et la peinture", affirme-t-il.
Dinara Baktybayeva, qui joue Saltanat, est une actrice professionnelle. C’est une star de films commerciaux au Kazakhstan. Adilkhan Yerzhanov avait un peu peur de travailler avec elle, car il l'a pensait capricieuse. Mais elle était l’une des plus disciplinées sur le plateau de tournage. Le metteur en scène poursuit au sujet du casting :
"Kuandyk Dussenbaev a étudié l’actorat à l’Académie des arts puis a travaillé un peu au théâtre, au cinéma. C’est son premier rôle principal dans un film. Je l’ai choisi parce qu’il y avait en lui justement une vraie virilité et une naïveté enfantine. C’était très important pour moi qu’on ne les voie pas jouer. Je ne voulais pas de performance d’acteur, je voulais qu’ils soient eux-mêmes, qu’ils ressentent profondément l’état de leurs personnages. Nous avons beaucoup discuté pour que chaque passage du scénario leur soit clair. Je pense qu’un acteur donne le meilleur de lui-même quand il comprend son personnage."
Dans les films de Adilkhan Yerzhanov, l’image de la maison qu’on perd ou qu’on trouve est toujours importante. La Tendre indifférence du monde s’ouvre sur la maison familiale qu’on vide de ses meubles (ce qui va d’ailleurs provoquer la mort du père) et ensuite les héros vont se trouver une petite chambre en ville qui paraît d’abord vide et désolée, mais devient peu à peu un véritable foyer. Le cinéaste raconte :
"Pour moi, la maison c’est le microcosme où vivent les héros. Dans L’Odyssée, Ulysse comprend que trouver sa maison, c’est la tâche la plus importante dans la vie d’un homme. Ou encore comme dit Voltaire : « Il faut cultiver son jardin. » Dans le grand mouvement des choses, chacun doit défendre son petit territoire : ses convictions, sa vision du monde. Dans mes films, cette idée est toujours exprimée à travers l’image de la maison. Peut-être parce que je ne travaille pas assez bien mes scénarios (Rires). Je ne le fais pas exprès, mais c’est toujours de cette façon que cela s’incarne dans mes films. Je crois qu’au fond chaque réalisateur raconte à travers ses films toujours un peu la même histoire. Et je ne fais pas exception."
La Tendre indifférence du monde fait la part belle à l’extrême cruauté des personnages et du système social, relayée entre autres par les membres de la famille : l’oncle qui essaie de vendre Saltanat à son patron, mais aussi sa mère qui l’utilise sans scrupule. Dans tous ses films, Adilkhan Yerzhanov essaye de parler de notre société contemporaine. Il confie :
"Au Kazakhstan aujourd’hui, nous revenons vers un système féodal. Comme nous n’avons rien connu entre le système féodal et le socialisme, après la chute du socialisme, ces réflexes féodaux reviennent extrêmement vite. La soumission devant ses supérieurs, la monarchie absolue, tout ça est revenu. Et tout fonctionne par clans, à travers les liens familiaux. Il faut avoir quelqu’un de riche, quelqu’un de haut placé dans sa famille pour s’en sortir. Je ne crois pas à un système vertical qui ferait les choses mal (ou peut-être dans un autre pays), mais chez nous le mal passe par la famille, considérée pourtant comme sacrée. Je suis convaincu que c’est le sentiment de devoir familial qui prive les gens de liberté. La famille est une prison."