Adilkhan Yerzhanov dit de ses films : « le destin de 100% de mes films, au Kazakhstan, c’est l’étagère, personne ne les voit » et c’est bien dommage car ses films, du moins La tendre indifférence du monde , sont d’une éclatante beauté, d’une beauté formelle qui fait presque passer l’histoire au second plan…La belle Saltanat , incarnée par Dinara Baktybayeva, star de films commerciaux, d’une fascinante beauté, et son chevalier servant Kuandyk incarné par Kuandyk Dussenbaey qui allie une réelle virilité et une naïveté enfantine, sont amis depuis l’enfance. Saltanat a commencé des études de médecine, et comme le souligne Yerzhanov, elle fait de l’escapisme, pour échapper à la réalité elle se refugie dans la littérature et la peinture…Elle a été conduite à suspendre ses études pour aider son père à sortir d’une situation inextricable. Criblé de dettes, à la suite d’une nouvelle saisie, son père se suicide et sa mère l’envoie dans la grande ville où elle est promise à un riche mariage avec un associé de son oncle plus ou moins mafieux. Escortée par Kuandyk qui veille sur elle, Saltanat quitte son village pour l’inconnu. Mais peut-on gagner de l’argent dans ce pays sans trahir et mettre soi-même un pied dans l’engrenage mafieux… Et les deux jeunes gens se trouvent entraînés malgré eux dans une suite d’événements qui les conduiront à une fin à la Bonny and Clyde.
Une fleur blanche en premier plan, à la fois fragile et solidement attachée au sol, ouvre le film. Et soudain, le sang coule lentement sur les pétales éclatants de soleil. Ce sang qui entache l’immaculé de la fleur, c’est celui de lutteurs qui se battent pour gagner trois sous et améliorer leur quotidien.
Une jeune femme qui porte une robe rouge et une ombrelle charmante qui la fait ressembler à une héroïne de Maupassant, qui chemine à travers les blés…Un jeune homme qui a compris que la seule façon de survivre à son destin, c’est de le réinventer en le peignant ou en le dessinant sur les murs, une feuille de papier…et qui dans une scène magnifique de poésie, mime un voyage en avion qui l’emmènerait avec sa belle loin de la triste réalité de son monde, sans doute vers Paris, tant les références à la culture française sont présentes …La tendre indifférence du monde est une citation de l’Etranger de Camus….Autant de plans d’une grande beauté graphique, à la rigueur toute bressoniènne …
La tendre indifférence du monde aurait pu se cantonner à une critique sociale et politique d’un pays rongé par la corruption et la pauvreté, mais Adilkhan Yerzhanov fait un film sur la création artistique. Le réalisateur propose une mise en scène soignée, précise, dans laquelle ses comédiens s’intègrent avec douceur et naturel. Il se plaît notamment à insérer dans son film des dessins, des peintures naïves notamment du Douanier Rousseau, des croquis sur les murs…Il met en scène ses personnages dans des endroits volontairement clos, comme des embrasures de portes, des encadrements de fenêtres ou de miroirs, à la façon de tableaux de peinture où l’artiste chercherait à dépeindre le monde mais aussi surtout à le transcender dans une autre réalité, forcément plus heureuse….C’est un film magnifique…